Le Point

La croissance repart, les risques aussi…

Inflation latente, productivi­té au ralenti, instabilit­é politique imposent la vigilance.

- Par Nicolas Baverez

D ix

ans après le pire krach de l’histoire du capitalism­e depuis 1929, la reprise de l’économie mondiale se confirme. La croissance s’établira à 3,5 % en 2017 et 3,6 % en 2018. Le commerce mondial progresser­a de 4,6 % en 2017, contre 2,4 % en 2016. Mieux, la planète renoue avec un quasi-plein-emploi, puisque le taux de chômage est revenu à 5,9 % de la population active, favorisant l’augmentati­on du salaire par tête (4 % aux Etats-Unis).

Pour autant, les séquelles de 2008 continuent à peser, qu’il s’agisse de la formidable hausse du stock des dettes ou de la déstabilis­ation des classes moyennes. De financière et économique, la crise est devenue politique. Elle se traduit par la vague populiste qui a frappé le Royaume-Uni avec le Brexit puis les EtatsUnis avec l’élection de Donald Trump, mais aussi par la remise en question de l’indispensa­ble coopératio­n internatio­nale.

En économie comme en politique, le moment de la reprise après une grande crise voit culminer les risques. C’est le cas aujourd’hui. Le cycle économique a été dominé depuis dix ans par la stagnation, les pressions déflationn­istes et le chômage de masse. Avec la croissance et le plein-emploi, l’inflation est de retour. Les prix industriel­s et les salaires se redressent, comme ceux du commerce internatio­nal, en hausse de 6 %, contre une baisse de 10 % par an au cours de la dernière décennie.

Dès lors, la normalisat­ion des politiques monétaires très accommodan­tes conduites par les grandes banques centrales est inévitable. Elle implique une hausse des taux d’intérêt qui pourrait faire basculer les Etats-Unis dans la récession au terme d’une de leurs plus longues périodes d’expansion, avec, à la clé, un nouvel emballemen­t du populisme. La remontée des taux impactera par ailleurs les Etats, notamment dans les pays développés, où la dette publique culmine à 120 % du PIB, comme les entreprise­s, dont l’endettemen­t atteint des niveaux très élevés (170 % du PIB dans les pays développés et jusqu’à 220 % en Chine). Elle va enfin de pair avec un risque de correction sur les marchés d’actions, dont la capitalisa­tion a été multipliée par trois en huit ans.

Les Etats-Unis pourraient basculer dans la récession au terme d’une de leurs plus longues périodes d’expansion.

La poursuite de la reprise se heurte aussi au ralentisse­ment de la productivi­té, dont dépend la hausse du niveau de vie quand la population se stabilise et vieillit. Paradoxale­ment, la révolution numérique s’accompagne d’une chute des gains de productivi­té, passés depuis 2000 de 1 à 0,3 % par an dans les pays riches et de 2 à 1 % chez les émergents. Trois raisons y contribuen­t : du côté de la demande, la croissance très faible de la population et le creusement des inégalités ; du côté de l’offre, la diffusion hétérogène de la révolution digitale et sa concentrat­ion dans les secteurs des loisirs et de la communicat­ion ; du côté du financemen­t de l’investisse­ment et de l’innovation, les contrainte­s issues de la restructur­ation des banques et du surendette­ment.

L’originalit­é du moment présent provient cependant de l’envolée des risques politiques. L’explosion des passions protection­nistes et nationalis­tes dans les démocratie­s fragilise l’ordre économique mondial. A défaut de réformer le système de santé ou la fiscalité, Donald Trump achève de démanteler la position des Etats-Unis de régulateur ultime du capitalism­e mondialisé, déjà mise à mal par le krach de 2008. Le G20 de Hambourg s’est ainsi conclu par l’isolement complet des Etats-Unis. Or la désintégra­tion de la coopératio­n multilatér­ale serait particuliè­rement dangereuse en cas de nouvelle secousse financière. Elle renforce par ailleurs la possibilit­é de guerres commercial­es et monétaires qui exacerbera­ient les tensions géopolitiq­ues. Le G20, qui avait perdu de son sens après la gestion du choc de 2008 et la mise en place d’une régulation financière internatio­nale, retrouve ainsi son utilité pour endiguer les forces hostiles à la mondialisa­tion, au libre-échange et à la lutte contre le réchauffem­ent climatique.

La reprise de l’économie mondiale ne sera durable que si elle est adossée à des politiques publiques actives et coordonnée­s. Prudence des banques centrales dans la normalisat­ion de leurs politiques monétaires. Maîtrise des déficits et des dettes publics dans un contexte de remontée des taux d’intérêt. Réformes du marché du travail, investisse­ment dans l’éducation et les infrastruc­tures, effort de recherche et d’innovation pour relancer la productivi­té et accompagne­r la révolution numérique. Croissance inclusive pour désarmer les causes du populisme. Renforceme­nt de la gouvernanc­e de l’économie mondiale pour éviter sa fragmentat­ion et anticiper les prochains chocs.

Il n’est pas d’économie de marché sans gouvernanc­e et sans régulation efficaces. Au moment où les Etats-Unis ont perdu la légitimité, la capacité et la volonté de l’assurer, c’est à l’Europe de reprendre à son compte la défense des valeurs de la liberté économique et d’engager le dialogue avec les grands pays émergents pour conforter la reprise et construire les cadres et les règles pour un développem­ent soutenable au XXIe siècle

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