Jette ton bréviaire de manager, Emmanuel !
Pour Emmanuel Macron, le monde se partage entre ceux qui osent et ceux qui n’osent pas ; et quiconque ayant osé, même s’il échoue, demeure bien supérieur à ceux qui n’ont pas osé et qui méritent, au fond, de croupir dans leur mouise. Il reproche au système scolaire français de casser les vocations en confrontant tous les élèves à un modèle unique d’excellence. Il souhaite que les chemins vers la réussite se multiplient et se diversifient. Fort bien. En même temps, les critères de la réussite telle qu’il la conçoit semblent très uniformes : en gros, ils sont financiers et médiatiques. Il faudrait, dit-il, mettre en lumière les réussites françaises : mais, dans sa conception, que peut signifier encore le caractère « français », sinon une étiquette interchangeable ? Le clip projeté à l’occasion du lancement d’En Marche ! s’est avéré un montage de séquences puisées dans des banques d’images internationales. La vidéo qui prétendait décrire la France montrait, en réalité, des Autrichiens, des Allemands, des Anglais, des Américains. Cette supercherie en est à peine une : elle est emblématique du fait qu’il faut être prêt à tout pour réussir – y compris à perdre sa substance afin de se conformer à ce qui « marche ».
Au sein de l’économie libérale, entretenir la course économico-technologique passe par la promotion de réussites individuelles déliées de toute attache. Il nous faut, dit Macron, des jeunes qui rêvent de devenir milliardaires et y parviennent. L’ennui est que des réussites de ce genre renforcent moins la communauté nationale en l’enrichissant qu’elles ne la dissolvent un peu plus en creusant le fossé entre la condition des uns et celle des autres. Pendant que les frontières entre les Etats se brouillent, se renforcent celles qui séparent ceux qui réussissent de ceux qui « ne sont rien ».
Beaucoup, sans être de fervents soutiens de Macron, souhaitent qu’il réussisse pour la France. Mais, s’il réussissait à son idée, que resterait-il de la France, en dehors d’une marque qui aurait, mieux que d’autres, tiré son épingle du jeu sur le marché mondial ? Ce qui est à souhaiter, ce n’est pas que le président échoue, mais qu’il sache entendre la voix de ceux pour qui réussir sa vie ne signifiera jamais diriger ni devenir milliardaire. Jette ton bréviaire de manager, Emmanuel. Dis-toi bien qu’il n’indique qu’une des mille façons possibles de réussir pour tes concitoyens