Achille et Patrocle, une amitié virile
« Il reste gisant, auprès des vaisseaux, sans être pleuré ni enseveli, le corps de Patrocle, de ce Patrocle que je n’oublierai jamais, tant que je serai parmi les vivants, et que mes chers genoux pourront se soulever. Et si chez Hadès les morts sont oubliés, je veux, quant à moi, même là-bas, me souvenir de mon cher compagnon. » (« Iliade », chant XXII, v. 385-390, traduction de Mario Meunier, Le Livre de poche)
Mais que faisaient donc Achille et Patrocle sous leur tente, à l’abri des regards des Myrmidons ? Dans sa tentative de décrire la nature de sa relation avec La Boétie, Montaigne évoque (pour dire ce qu’elle n’est pas) « cette autre licence grecque justement abhorrée par nos moeurs » , et offre des exemples d’amour homoérotiques, dont… celui des deux héros. Mais le maire de Bordeaux ne faisait que reprendre ici une vieille antienne. C’est la Grèce classique, et donc les contemporains de Socrate et Platon, qui ont fait d’Achille et Patrocle un couple sur le modèle de l’éraste (l’amant) et de l’éromène (l’aimé), car « la pédérastie comme institution sociale n’appartient pas au monde d’Homère », ainsi que le rappelle Florence Dupont (« L’érotisme masculin dans la Rome antique »). Les paroles prononcées par Achille après avoir tué Hector et vengé Patrocle supposent un lien d’amitié extrêmement poussé, mais guère davantage. Ce qui n’a pas empêché le grand Eschyle de pousser l’ambiguïté très loin dans une tragédie perdue (« Les Myrmidons »), comme en témoignent ces vers prêtés à Achille, abondamment cités (et critiqués) tout au long de l’Antiquité : « Tu n’as pas respecté l’auguste pureté de tes cuisses, cruel, malgré tous nos baisers. »