Les sirènes, ou le droit de savoir
« D’abord tu croiseras les sirènes qui ensorcellent tous les hommes, quiconque arrive en leurs parages. L’imprudent qui s’approche et prête l’oreille à la voix de ces sirènes, son épouse et ses enfants ne pourront l’entourer ni fêter son retour chez lui. Car les sirènes l’ensorcellent d’un chant clair, assises dans un pré, et l’on voit s’entasser près d’elles les os des corps décomposés dont les chairs se réduisent. » (« Odyssée », chant XII, v. 39-46, traduction de Philippe Jaccottet)
Elles ne sont pas mi-femme mi-poisson, mais plus vraisemblablement, au vu des peintures sur les vases, des oiseaux à tête de femme. Sans hanches voluptueuses mais nanties de serres, elles tuent. Circé a averti Ulysse du danger qu’elles représentent, mais il aime les tentations et a compris, bien avant Oscar Wilde, qu’il a peut-être inspiré, que le seul moyen de s’en délivrer, c’est d’y céder. Les sirènes attirent les hommes par leur chant, mais c’est en réalité bien plus qu’un chant. « On repart, charmé, lourd d’un plus lourd trésor de science », entonnent-elles, ajoutant : « Nous savons tout ce qui advient sur la terre féconde. » Le savoir infini ? Pouvoir prédire l’avenir ? Attaché à son mât, Ulysse a tout entendu. Homère ne nous dit pas quoi mais nous laisse imaginer. Et ce savoir acquis, on peut gager qu’il l’a légué à son fils Télémaque dès son retour à Ithaque. Les sirènes, ou l’éloge de la soif inextinguible du savoir que rien n’arrête. Et de sa transmission réussie entre les générations, malgré la difficulté. La meilleure publicité pour le retour de l’enseignement des langues anciennes ?