Achille et Priam, l’humanité à la guerre
« Or donc, Achille, respecte les dieux et prends pitié de moi en songeant à ton père. Je suis encore plus à plaindre que lui, et j’ai eu le courage de ce qu’aucun mortel n’a jamais fait sur Terre : porter jusqu’à la bouche la main de celui qui tua mon enfant. Ainsi parla-t-il, et il suscita chez Achille le désir de pleurer sur son père. En le touchant de la main, il écarta doucement le vieillard. Tous deux se souvenaient : l’un, songeant à l’homicide d’Hector, pleurait à chaudes larmes, prostré aux pieds d’Achille. Achille pleurait son père, parfois aussi Patrocle. Leurs plaintes s’élevaient à travers la demeure. (« Iliade », chant XXIV, v. 503-512, traduction de Mario Meunier)
Dans sa colère pour venger Patrocle, Achille ne se contente pas de tuer Hector. Il mutile son corps en le traînant derrière son char et le laisse sans sépulture, ce qui provoque la douleur de Priam, le père d’Hector, qui en appelle au héros furieux et au souvenir de son propre père, Pélée. Ce geste nous lie particulièrement aux Grecs, comme on peut le voir après chaque catastrophe où il s’agit de retrouver les corps des proches disparus pour accomplir le deuil et les rites funéraires. Dans le cas de ces morts privés de sépulture ou menacés de l’être (Hector, Polynice ou Ajax), JeanPierre Vernant (« L’individu, la mort, l’amour : soi-même et l’autre en Grèce ancienne ») rappelle que « le cadavre abandonné à la décomposition, c’est le retournement complet de la belle mort, son inverse. Le corps outragé n’a part ni au silence qui entoure le mort habituel, ni au chant louangeur du mort héroïque. Il représente ce qu’on ne peut pas célébrer ni davantage oublier » . Le chaos de la guerre et de sa violence laisse place à une scène d’une rare humanité, où les ennemis d’antan se trouvent réunis dans une même affliction.