La vie en diorama
Le palais de Tokyo se change en gigantesque cabinet de curiosités avec l’exposition « Dioramas », ou l’art de mettre le monde en boîte.
Sous le commissariat avisé de Laurent Le Bon, président du musée Picasso, le Grand Palais accueille une exposition enchanteresse. Intitulée « Dioramas », elle nous promène dans un labyrinthe de fallacies, une anthologie de formes trompeuses, tout un esprit de train fantôme et de lanterne magique. Qu’est-ce qu’un diorama ? La composition d’une scène en profondeur, selon le principe de relief que l’on appellerait aujourd’hui la 3D. Cela peut tenir de l’art cinétique, un jeu d’éclairages derrière une toile peinte diaphane permettant de faire varier la lumière sur un paysage, du jour à la nuit. Ainsi du diorama de Daguerre, précurseur des théâtres optiques et des merveilles de fêtes foraines. « Je désire être ramené vers les dioramas, dont la magie brutale et énorme sait m’imposer une utile illusion » , écrivait alors Baudelaire.
Mais le principe cardinal du diorama, c’est d’installer ou d’encastrer dans un fond de décor peint ou sculpté des personnages ou des objets en relief, de la miniature à l’échelle réelle. Exemple : comme dans une cage, des animaux naturalisés sont présentés sur fond de jungle avec la fixité d’une scène de genre. Ce fut l’innovation des « musées biologiques » d’Uppsala et de Stockholm, autour de 1890, lorsque la taxidermie donna du relief au tableau d’encyclopédie. Lions sur leurs rochers, mouettes sur des plages : on avait la préfiguration en images figées des plaines africaines et autres savanes aménagées des zoos contemporains.
Mais ce qui est vrai de la faune peut l’être de l’apologétique. On ne comptait plus, dès le XVIIe siècle,
les cartouches édifiants, les statues ensanglantées de saints dans leurs grottes. L’iconophilie catholique avait besoin de ces lumineux ou lugubres avatars pour exalter la foi populaire. A des titres divers, les crèches de Noël ou les musées de figures de cire peuvent aussi être regardés comme des dioramas : Robespierre dans sa cellule ou le roi Henri VIII d’Angleterre et ses six femmes ont fait les beaux jours des musées Grévin et Tussaud. Il existe donc des dioramas pieux, animaliers, dystopiques, guerriers, ethnologiques. Ainsi des représentations d’une Afrique folklorisée à l’Exposition coloniale de 1931, avec ses Bantous sous vitre, ou de l’archéologie des coutumes paysannes qui présida aux dioramas conçus dès 1937 par Georges Henri Rivière pour le Musée national des arts et traditions populaires.
Miroir. Evidemment, ces attractions de parade n’ont pas manqué de solliciter l’imagination des plasticiens. Marcel Duchamp, artificier suprême, installe un mannequin de femme dénudée derrière l’oeil-deboeuf qui sollicite l’oeil piégé du voyeur. Joseph Cornell, le surréaliste américain des années 1930, enfermait des objets hétéroclites dans des boîtes hermétiques, sortes de cadavres exquis aux allures d’ex-voto. Charles Matton composa ses boîtes comme les décors minutieux d’intérieurs désertés par l’homme. A échelle réelle, Martial Raysse installait des bouées de plastique et des parasols sur le sable d’une plage de studio. Du diorama aux « installations » de l’art contemporain, il n’y avait qu’un pas. Ainsi des figures grandeur nature de Duane Hanson, icônes ordinaires de l’American way of life dignifiées en statues de résine polychrome.
Chez les artistes contemporains, l’ironie est la soeur rieuse du leurre. Fiona Tan dévoile sous une plaque où circulent des miniatures de trains électriques la machinerie chaotique qui sous-tend cette illusion récréative, à la façon de Fellini faisant soudain descendre sa caméra pour dévoiler les vérins de la mer artificielle d’« E la nave va ». Pour l’exposition du Grand Palais, Anselm Kiefer a composé une série de dioramas forestiers, dont l’un qui présente le cerveau de Heidegger posé sur le sol blanc d’une sapinière enneigée : c’est de la métaphysique pour temps de luge. Il n’est pas interdit d’y incorporer du vivant. Ainsi, cette oeuvre de Mathieu Mercier où deux microbatraciens mexicains, les axolotls, évoluent comme dans un aquarium de restaurant chinois. Ainsi de la « Tit Box » de Tom Wesselmann, où un trou permet de contempler le sein nu d’une femme vivante, exposé au milieu des objets inertes d’une nature morte.
Présentée sous une lumière savamment tamisée, l’exposition nous convie graduellement à expérimenter l’inquiétante étrangeté de ce monde d’automates réveillés qui enchanta le romantisme allemand. Elle annexe aussi avec bonheur les fantaisies du cinéma contemporain. Dans « The Truman Show », les personnages percent telle une coque la voûte du biotope où ils vivent comme sous une cloche à fromage. Dans « La nuit au musée », Ben Stiller voit les figures de cire d’un musée de l’histoire américaine briser leurs vitrines et prendre vie, se trouvant alors aux prises avec des chefs sioux et des bisons déchaînés. Et les animatronics des attractions des parcs Disney, maison hantée ou pirates des Caraïbes, vous transportent en nacelle dans une nouvelle d’Edgar Poe ou de Robert Louis Stevenson. A la toute fin du parcours, une photographie de Dulce Pinzon nous montre deux amoureux s’embrassant sous l’oeil de cervidés plantés devant la vitrine tels des visiteurs payants. Comme dans « La planète des singes », Homo sapiens est devenu créature de zoo. La vitrine se mue alors en miroir : au milieu de la jungle, c’est notre visage qui surgit du fond des âges
« Dioramas », palais de Tokyo, jusqu’au 10 septembre. Catalogue (Flammarion, 348 p., 49 €).