Le combat des chefs
BD. Avec « Le grand et le trop court », la politique-fiction démontre qu’elle peut être bien plus véridique que les multiples témoignages, de campagne ou autres, parus ces derniers mois en bande dessinée. C’était bien avant la conquête macronienne : en pleine présidence Sarkozy, un Jacques Chirac désoeuvré se décide à écrire ses Mémoires. Un jeune énarque, Ludovic Robert, est dépêché auprès de l’ex-président, qui le convertit illico à son régime gin tonic-charcuterie en plein après-midi. Mais, au-delà de la satire à laquelle pourrait se prêter le trait inspiré de Krassinsky, la relation entre ces deux monstres politiques est traitée sur un mode particulièrement subtil. Jean-Luc Barré, écrivain et éditeur, ex-plume de Jacques Chirac et l’un des maîtres d’oeuvre de ses véritables Mémoires, s’est chargé d’un scénario qui fait la part belle au « grand ». Sous son apparence trompeuse de hobereau corrézien, Chirac revient avec finesse sur la montée en puissance de son ancien protégé, entre lecture oedipienne affectueuse ( « Il ne faut pas en vouloir au petit, son rêve c’était d’être mon fils préféré » ) et piques ravageuses ( « Ses convictions, dites-vous ? Mais il n’en a aucune, c’est trop haut pour lui, les convictions » ), qui rappellent que sa réputation de « tueur » n’était pas usurpée. Perce alors, sous la comédie, la peinture mélancolique d’une époque qui paraît soudain étrangement lointaine…
« Le grand et le trop court », de Krassinsky et Jean-Luc Barré (Casterman, 80 p., 14,90 €).