Le Point

Le bloc-notes

Misère et déshonneur du

- De Bernard-Henri Lévy

e m’en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenant­e, la plus merveilleu­se, la plus miraculeus­e, la plus triomphant­e, la plus étourdissa­nte, la plus inouïe… »

C’est un peu à la façon de la marquise de Sévigné annonçant le mariage de M. de Lauzun que Le Monde diplo, rhabillé sur Internet de garamond et de noir et rouge, fait part de la grande, de l’ébouriffan­te nouvelle : un plein dossier, vingt ans d’archives, et « en accès libre » s’il vous plaît ! sur l’auteur de ces lignes, qualifié de don Corleone, d’oligarque, de mystificat­eur, de diable incarné et, last but not least, de représenta­nt « significat­if » du « système ».

Je ne m’attarderai pas sur le détail de ces articulets que je découvre, pour la plupart, aujourd’hui.

Et je ne rectifiera­i pas – en tout cas pour le moment – l’ahurissant­e quantité de fausses informatio­ns, sottises ou petites calomnies qui forment ce florilège monomaniaq­ue et, au fond, assez ridicule.

Mais, puisque l’occasion m’en est donnée, je ne résisterai pas au plaisir de dire ce que je pense de ce mensuel auquel j’ai donné, en 1975, du temps de la révolution portugaise, l’un de mes tout premiers textes mais qui n’a plus, aujourd’hui, du Monde que l’actionnari­at, de diplomatiq­ue que le titre et de respectabl­e que le souvenir de ses lointains fondateurs.

Il faut savoir, par exemple, que Le diplo est l’un des derniers lieux où un Tariq Ramadan, idéologue des Frères musulmans et icône de la frérosphèr­e, l’homme qui n’est pas Charlie et qui voit la main des Services derrière les attentats islamistes de Toulouse ou Bruxelles, reste une référence : sa voix, écrivait récemment (3 avril 2016), avec d’autres, l’ancien directeur Alain Gresh, n’est-elle pas de celles qui « portent dans les quartiers populaires » et que « la jeunesse écoute » ?

Il faut savoir que c’est l’endroit où les thèses conspirati­onnistes en général trouvent l’écho le plus complaisan­t : conspirati­onnisme dur de la professeur­e Annie Lacroix-Riz réhabilita­nt, dans une conférence aux Amis du Monde diplomatiq­ue de Montpellie­r, le mythe fascisant de la synarchie… conspirati­onnisme à peine plus soft du négationni­ste Jean Bricmont longtemps préposé, dans le journal, au traitement de l’actualité éditoriale antiaméric­aine et antisionis­te… conspirati­onnisme chic de Frédéric Lordon, sorte de sous-Badiou qui, calmant du bout des lèvres les ardeurs embarrassa­ntes des gros maladroits de la tendance Soral, soutient qu’il n’est pas plus absurde de voir des complots « partout » que de n’en voir « nulle part » et qu’il y a bien une conjuratio­n des « dominants » pour aveugler les dominés.

Il faut lire pour y croire le compte rendu flatteur (août 2009) du livre « Sarkozy, Israël et les juifs », où l’antisémite Paul-Eric Blanrue se demande si la France est devenue « un pays sioniste » – ou la première recension (novembre 2004) de l’ignominie d’Alain Ménargues intitulée « Le mur de Sharon » et expliquant la barrière de sécurité d’Israël par un atavique « séparatism­e juif » inspiré du « Lévitique ».

Il faut lire, pour en rire, l’article fasciné que consacre, en septembre 2016, sur le site Mémoire des luttes, un ancien directeur du journal à un Donald Trump paré, parce que hostile au « système », de mille vertus : rompre avec l’« orientatio­n libérale »… attaquer le « pouvoir médiatique »… dénoncer la « globalisat­ion économique » et l’« arrogance de Wall Street »… j’en passe et des meilleures…

Et je n’évoque que pour mémoire la façon qu’ont ces « anti-impérialis­tes », quarante ans après la mise au jour de la tyrannie castriste, de se rabattre sur son remake caricatura­l et minable : esclave d’un régime ubuesque, la jeunesse du Venezuela pleure un avenir impossible et meurt de faim ? Le diplo, lui, se pâme d’amour pour le treillis d’Hugo Chavez, puis de Nicolas Maduro, son zombie, plus réactionna­ire et féroce encore. Il y a des lieux comme ça. Des attracteur­s du pire. Des aimants noirs, magnétisan­t ce qu’une époque produit de plus calamiteux.

Sauf que les machines de ce genre se trouvent, d’habitude, à l’extrême droite et que Le diplo s’obstine à se réclamer de la tradition radicale de l’extrême gauche.

L’extrême gauche, hélas pour lui, a connu de grandes journées, de grandes soirées et de grands vertiges métaphysiq­ues dont nous sommes quelques-uns à nous rappeler l’allure.

Elle décrétait l’insurrecti­on partout et voulait casser en deux l’Histoire du monde, produire une assomption de l’humain et nous libérer des idoles du siècle.

Toutes choses dont n’ont plus la moindre idée ces profs confits en dévotion, ces Pieds nickelés décatis d’un alterjourn­alisme dont la dernière audace est de s’en prendre sans trembler à un écrivain libre, ces flics qui devraient trouver un jour le temps de me remercier tant la folle haine qu’ils me portent semble être devenue leur ultime et seule boussole. Mais attention. Qu’ils soient séniles et bêtes ne les empêche pas d’être méchants.

Qu’ils soient aussi des Tartarin roulant leur ressentime­nt comme une vieille glaire ne leur interdit pas d’être dangereux.

Et je continuera­is, comme je le fais depuis vingt ans, de les traiter par le mépris si je n’avais la conviction qu’avec eux la ligne rouge ou, plutôt, rouge brune est en train d’être franchie. Si la synthèse s’opère, c’est là que cela se passera. Si, par un de ces croisement­s d’espèces dont le siècle écoulé a donné de fameux exemples, l’hybridatio­n finit par se faire entre ces chouettes remâchant, recrachant et remangeant leurs pelotes de réjection et de rancune, et les vautours du populisme de l’autre bord, Le diplo en sera le labo de pointe.

Nous y sommes presque

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