A Bucarest, le
Après la Pologne et le Portugal, l’écrivain prend le pouls d’une Roumanie fiévreuse. Vingt-huit ans après la chute de Ceausescu, le pays vibre pour s’arrimer à l’Europe.
Gabriela Adamesteanu a d’abord perçu une rumeur inaccoutumée, des voix d’hommes et de femmes, un choeur en colère. Elle s’est penchée à la fenêtre : au pied de son immeuble, la circulation est interrompue, l’avenue Titulescu assaillie par une foule de badauds. Il est tard pourtant. Son téléphone a sonné plusieurs fois. « Ils l’ont fait. Les salauds. Les décrets vont passer. On ne peut pas laisser passer un truc pareil, c’est un petit coup d’Etat. » Alors, Gabriela s’est rhabillée en vitesse et est descendue dans la rue. Malgré la neige, le froid polaire, des gens affluent de partout, des jeunes, mais pas seulement. Tous convergent vers la place de la Victoire, le siège du gouvernement à Bucarest.
Ce mardi 31 janvier s’est ouvert le procès de Liviu Dragnea, le chef du Parti social-démocrate (PSD), soupçonné d’emplois fictifs et condamné à un an de prison avec sursis pour fraude électorale, quelques mois plus tôt. Le soir même, à l’invitation du gouvernement, le Parlement adopte plusieurs ordonnances qui vont permettre l’amnistie de Dragnea et la protection des caciques du système. En décembre, le PSD a remporté les élections législatives en promettant d’augmenter les pensions de retraite et les allocations sociales. La participation au scrutin a été faible – moins de 40 %.
Il y a quelques années, j’ai rencontré Gabriela en Espagne à l’occasion d’un débat célébrant les 20 ans de la chute du mur de Berlin. Gabriela évoquait avec sensibilité la révolution roumaine qui avait mis fin au règne des Ceausescu. Nous nous retrouvons avec plaisir dans un café. Gabriela me décrit les cortèges joyeux de l’hiver, les banderoles ironiques, la mobilisation qui enfle chaque soir. Au moins un demi-million de Bucarestois sont rassemblés le 5 février, et les portables qui s’allument à 21 heures, et la foule qui gronde « voleurs, voleurs ! » en agitant des drapeaux roumains et européens sous les fenêtres du siège du gouvernement. « C’était magnifique, du jamais-vu depuis 1989. J’ai été surprise par la réactivité des gens. Une société nouvelle a émergé ce dernier quart de siècle. Personne, et surtout pas les politiques, ne s’en est aperçu. Les classes moyennes ont été le fer de lance de ce mouvement. Ils ne tolèrent plus les magouilles et l’incurie de nos dirigeants. » Gabriela s’excuse de ne pas être allée manifester tous les soirs, elle a 75 ans.
Les protestataires ont eu gain de cause : les décrets ont été annulés, le ministre de la Justice a démissionné et le procès