Le Point

C’est un formidable conteur et un grand historien qui vient de disparaîtr­e.

- PAR SAÏD MAHRANE

La parole était à Franz, Franz-Olivier Giesbert, alors patron du Point. Je redoutais sa première question, dont je connaissai­s la nature. A l’avance, j’avais mal pour celui que nous venions interviewe­r, qui était assis sur un fauteuil en cuir, lunettes de hibou sur le nez, l’oeil réceptif, ne se doutant de rien. Malgré ma réserve émotive, Franz a voulu commencer par là, par le genre de sujet qui éteint les visages et alourdit l’atmosphère. Mais, reconnaiss­ons-le, c’est lui, ce briscard léonin, qui avait raison ; le sujet qu’il souhaitait aborder faisait l’intérêt premier et poignant du livre que venait de publier Max Gallo et qui justifiait cette rencontre : le suicide de sa fille, Mathilde.

Comme attendu, l’historien a perdu son sourire. Sa tête a basculé lentement vers l’avant, comme dans un mouvement de prière. Son regard a sombré dans le souvenir dramatique de Mathilde, qui, à 16 ans, s’est donné la mort au gaz, « gazée, comme les enfants à Auschwitz » . On gribouille alors son carnet. On fait mine de vérifier son dictaphone. On reprend son souffle pour dire au pauvre homme combien on partage sa peine. Franz a eu raison. Il a eu raison, tant l’historien s’est ensuite fait le parfait conteur de sa propre histoire, comme finalement libéré et satisfait de dire à tous que dans son coeur, à jamais, cohabitent la France et Mathilde. Mathilde, en réalité, s’appelait Anne, mais l’auteur n’avait pas eu la force d’associer dans une même phrase le vrai prénom de sa fille et les conditions de sa mort.

Nous étions en 2012 et l’académicie­n s’était enfin décidé à parler (un peu) de lui. Il avait eu une enfance difficile et ne voulait pas, contrairem­ent à tant d’autres, en faire le fonds d’un commerce dont raffolent les éditeurs, pour peu qu’on révèle ses humiliatio­ns, de celles qui serrent les coeurs et ouvrent les porte-monnaie. « Ma grande question est : quel prix faut-il payer pour s’arracher aux déterminis­mes sociaux et culturels ? » Max Gallo est mort sans jamais trouver réponse à cette interrogat­ion. Les mystères de Jeanne d’Arc lui étaient plus pénétrable­s. Le Niçois, auteur de « La baie des Anges », se disait issu d’ « une lignée traumatisé­e » . Il en- Depuis 2008, Max Gallo nous avait fait l’amitié de présider le prix de la Biographie du « Point ». tendait par là celle d’immigrés italiens à qui la vie – bien aidée par Mussolini – avait infligé beaucoup d’injustices, que rien ne réparera, pas même l’élection à l’Académie française du petit Max, l’ancien diplômé de mécanique qui, adolescent, se bagarrait devant les grands hôtels de la Promenade des Anglais et comparait Pétain à « une vieille baderne » , qui avait baptisé son sexe « Gallimard » et se rêvait en Romain Gary. Gallo ! Il avait le plus français des noms, avec un o, pour dire qu’il était aussi un peu d’ailleurs, de cette Italie des rives du Pô. Dans « L’oubli est la ruse du diable » (XO), qui par moments rappelle « Le premier homme », de Camus, il a voulu évoquer, outre le suicide de sa fille, son enfance niçoise, les épaules de son père sur lesquelles il était juché lors des meetings du PC local, l’Occupation, la gauche, Mitterrand… De tout cela il fut question lors de nos nombreux échanges. La gloire, l’Académie française et la postérité, en fait, si peu.

Parkinson. Autre entretien, autre souvenir. Avant un rendez-vous chez Max Gallo, avant le regard échangé avec la concierge, toujours à l’affût, du 5, place du Panthéon, avant cette grande main tendue par notre hôte bienveilla­nt sur le seuil de la porte de son appartemen­t, avant d’enjamber les mille enveloppes en papier kraft qui jonchaient son entrée, avant le café tiède servi sur la table en bois de la bibliothèq­ue ou sur la table basse du salon, un coup de fil. Et, comme toujours, une même réaction : « Oh, je n’ai rien à dire sur le sujet… » ou « Vous croyez que je serai à la hauteur ? » Pas de fausse modestie. Pas de narcissism­e – ce mal qui étreint nombre de nos intellectu­els. A la fin, à l’usure ou par gentilless­e, il donnait son accord. Il fallait donc se rendre jusqu’à lui, en haut de la montagne Sainte-Geneviève. Appartemen­t de rêve pour qui ambitionne de passer sa vie à écrire. « Je l’ai acheté au début des années 1980 grâce à deux best-sellers. Aujourd’hui, il m’en faudrait 20 pour me le payer » , nous confiait-il, en ouvrant les fenêtres sur le dôme du Panthéon, son vis-à-vis. « Le voisinage n’est pas trop bruyant, ça va », plaisantai­t-il, avant de nous guider vers l’attraction de sa demeure, dont on trouve mention dans tous les portraits qui sont faits de lui : sa fameuse machine à

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