Le Point

Les Santini, la Botte secrète

Depuis 1926, à Runate, chaque génération réinterprè­te les recettes lombardes.

- PAR THIBAUT DANANCHER ITALIE Runate Mer Ligurienne

Quel bonheur de traverser cette Italie ! Celle des campagnes nourries par les prés verts, celle des bords de route mangés par les champs de blé, celle des bourgs éternels où battent les coeurs des clochers… Il y a un mélange de tout cela dans les kilomètres qui précèdent Runate, un village du nord de la Botte cerné par Parme, Crémone, Brescia, Vérone, Mantoue et Modène. On est en Lombardie, à deux coups de pagaie du Pô, avec de l’autre côté l’Emilie-Romagne. Il y a dans ce hameau de 36 âmes une famille qui veille depuis quatre-vingt-onze ans sur son restaurant niché dans la réserve naturelle du parc de l’Oglio, peuplé de tortues, de coqs d’eau, de martins-pêcheurs, de lièvres, de faisans, de colverts, de porcs-épics…

Voilà presque un siècle que les Santini se succèdent à la tête de la maison en se transmetta­nt les secrets de la tradition. L’histoire a commencé en 1926 par une osteria (auberge) façonnée de briques et de roseaux sur la berge du lac. Elle s’est poursuivie tout près de là en 1952 avec une trattoria appelée Vino e pesce, Vin et poisson, où on servait sur des tables nappées de l’anguille, du brochet, de la carpe, de la tanche… L’endroit fut rebaptisé en 1960 Dal Pescatore, Chez le pêcheur, son nom actuel. Aujourd’hui, trois génération­s sont rassemblée­s dans cette demeure qui fait at figure d’institutio­n. Nadia, 63 ans, la mère,ère, joue une délicieuse partition à quatretret­re mains au piano avec son fils Giovanni, ni, 40 ans. Antonio, 64 ans, le père, dirige, tel un chef d’orchestre, la salle de 26 couverts rts aux teintes pastel où l’autre fils, Alberto, rto,to, bientôt 34 ans, tient le haut du verre enen en sommelleri­e. Valentina, la belle-fille et épouse de Giovanni, après s’être longngtemp­s prêtée au service, élève désormaisa­is leur petit garçon de 3 ans, Lorenzo. Et puis uis il y a Bruna, la grand-mère, 88 ans, la mémoire vivante du lieu, toujours là à chaque que déjeuner et à chaque dîner afin de donner ner un coup de main aux fourneaux, cueillirll­ir les plantes aromatique­s et garder un oeil attentif sur ce qui se passe. Ces ammphitryo­ns vivent ici en communion dans ans différente­s habitation­s. « Nous ne faisons ons qu’un », nous ont-ils confié à l’unisson à l’ombre de leur jardin dans un français impeccable teinté de leur inimitable accent transalpin.

Une cuisine paysanne mais aussi très raffinée qui séduit les fins gourmets, lesquels n’hésitent pas à faire le déplacemen­t dans la minuscule bourgade. L’occasion de goûter aux spécialité­s des Santini qui rendent hommage aux trésors de chez eux, ceux de la plaine et des cours d’eau ainsi que de leur potager. « On cuisine avec la tête, le coeur et les mains », s’enthousias­me Giovanni Santini.

Leurs frissonnan­ts morceaux de bravoure ? Compressio­n de tomates et aubergines, huile d’olive extravierg­e ; terrine de homard, caviar osciètre ; risotto au

basilic et aux petits calamars, pain noir craquant au citron ; foie gras d’oie poêlé aux fruits de la Passion et au vin doux ; tortellis de potiron au beurre fondant, râpée de parmigiano reggiano ; cuisses de grenouille au gratin de fines herbes ; anguille grillée, salade de chicorée ; chapeau du prêtre (une partie de l’épaule du boeuf) braisé, sauce au nebbiolo, polenta jaune ; mousse de pistache, meringue, sabayon au marsala ; soufflé à l’orange, coulis Passion… Des mets délicats qu’Alberto Santini accorde, dans la digne lignée de son paternel, avec la fabuleuse collection de 12 000 bouteilles dont la plus vieille est millésimée 1904. Le livre de cave regorge de grands crus piémontais, toscans, vénitiens, bourguigno­ns, bordelais… « Chez nous, on a le sentiment d’être chez des amis », se réjouit ce véritable Bacchus.

La fratrie n’avait jamais imaginé décrocher 3 étoiles au Michelin ni les garder. C’est pourtant ce qui est arrivé en 1996, après une première étoile en 1982 et une deuxième en 1988. Et dire que les patriarche­s avaient imaginé vendre Dal Pescatore au début des années 1970…

Le bouleverse­ment est survenu à l’été 1974, lorsque Antonio et Nadia décident pour leur voyage de noces d’accomplir une tournée gastronomi­que chez les maestros renommés de l’Hexagone : Paul Bocuse à Collonges-au-Mont-d’Or, Haeberlin à Illhaeuser­n, Troisgros à Roanne… Tous deviendron­t rapidement des intimes des Santini. « A ce moment-là, nous avons compris qu’un restaurant était un théâtre où on recevait des hôtes pour leur offrir la plus belle des représenta­tions », raconte Antonio Santini. A leur retour à Runate, les jeunes époux envisagent de faire évoluer légèrement la philosophi­e de Bruna, qui ne l’entend pas de cette oreille. « Elle avait l’impression qu’on allait trahir ses recettes. Changer revenait pour elle à violer le souvenir des disparus », se rappelle Nadia San- tini. Finalement, cette pure autodidact­e – sacrée meilleure femme chef au monde en 2013 – allège les classiques sans en modifier les saveurs, retire le blanc d’oeuf de la confection des pâtes, se livre à des cuissons directes et raccourcie­s… Autant d’évolutions – « pas des révolution­s ! » – qui aboutissen­t à la naissance d’une ribambelle de plats signatures. Une symphonie qui n’a pas fini de bercer aux beaux jours les convives s’installant sur l’exquise terrasse jalonnée de colonnes Dal Pescatore, Riserva del Parco Oglio - Runate (Italie), (39) 376.72.30.01. Menus à 150, 180 et 250 € ; carte de 85 à 170 €.

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 ??  ?? Chaque jour, la « nonna » Bruna, 88 ans, cueille dans le jardin des herbes aromatique­s qui parfumeron­t les plats servis dans la salle du restaurant gastronomi­que où règne une ambiance maison de famille. A gauche, un dessert tout en légèreté : tubes...
Chaque jour, la « nonna » Bruna, 88 ans, cueille dans le jardin des herbes aromatique­s qui parfumeron­t les plats servis dans la salle du restaurant gastronomi­que où règne une ambiance maison de famille. A gauche, un dessert tout en légèreté : tubes...
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