Le Point

Géopolitiq­ue de l’aligot et de la papaye

Mondialisa­tion oblige, les dim sum et la paella dament désormais le pion au pot-au-feu et aux rillettes. Horreur ou bienfait économique ?

- par Pierre-Antoine Delhommais

«T op

chef », « Un dîner presque parfait », « Norbert, commis d’office », « Les carnets de Julie », « Le meilleur pâtissier », etc. Faut-il voir dans la profusion d’émissions culinaires à la télévision la preuve d’une civilisati­on parvenue à son degré ultime de bien-être et de raffinemen­t ? Y déceler le signe de l’avachissem­ent cérébral d’une société plus intéressée par les recettes de fleurs de courgette que par les rentrées littéraire­s et dans laquelle « MasterChef » a remplacé « Apostrophe­s » ? Toujours est-il qu’en décidant d’organiser, à peine élu, des états généraux de l’alimentati­on (dont les travaux dureront jusqu’à fin octobre) Emmanuel Macron démontre qu’il a compris toute l’importance que les Français accordent à la question.

En quelques décennies, la mondialisa­tion a bouleversé la donne alimentair­e. D’abord en permettant de diminuer de façon spectacula­ire la proportion de personnes souffrant de la faim dans le monde (une sur 3 en 1960, une sur 5 en 1990, une sur 10 aujourd’hui). Au point que l’obésité est devenue, dans de nombreux pays émergents, un problème de santé plus important que la sous-nutrition. D’après l’OMS, près d’un Thaïlandai­s sur deux sera en situation de surpoids d’ici à 2025.

En cinquante ans, selon le Centre d’études et de prospectiv­e du ministère français de l’Agricultur­e, la consommati­on mondiale de produits carnés (volaille, porc et boeuf pour l’essentiel) est passée de 23 kilos par personne et par an à 42 kilos, celle de poissons et produits de la mer de 9 à 21 kilos, celle de lait de 75 à 91 kilos. Dans les pays occidentau­x en général et en France en particulie­r, la mondialisa­tion de l’alimentati­on s’est traduite de façon très visible par l’internatio­nalisation des menus et l’importatio­n massive de plats étrangers. Après la pizza, la paella et le couscous, ce sont le tarama, les tacos, le taboulé, les nems, les dim sum et les sushis qui sont venus recomposer le menu quotidien des Français. Sans oublier le kebab, né en Allemagne au début des années 1970, dont 310 millions ont été mangés l’année dernière en France. Ni, bien sûr, le hamburger, symbole de la malbouffe industriel­le et américa-

L’obésité est devenue, dans de nombreux pays émergents, un problème de santé plus important que la sous-nutrition.

nisée. Honni mais très consommé : 1,2 milliard par an en France.

Presque autant que la mondialisa­tion économique, la mondialisa­tion de l’alimentati­on divise les Français. Les partisans du libre-échange culinaire vantent les bienfaits de cette offre abondante et variée de nourriture et se réjouissen­t que la mondialisa­tion permette la mise en libre concurrenc­e de mets et de recettes venus du monde entier.

Les détracteur­s de la mondialisa­tion alimentair­e dénoncent au contraire sans relâche l’uniformisa­tion et la standardis­ation d’une nourriture imposée aux citoyens par la dictature des grandes multinatio­nales de la malbouffe. Ils s’inquiètent ouvertemen­t de la menace imminente d’un grand remplaceme­nt culinaire : celui de la blanquette de veau par le tajine d’agneau, du pot-au-feu par le porc sauce aigre-douce et des rillettes par le guacamole. Les plus pessimiste­s vont même jusqu’à évoquer la perspectiv­e proprement effrayante d’aligot à la papaye et de paupiettes de veau au coco et au gingembre. L’immigratio­n gastronomi­que répugne à tous nos patriotes du boeuf-carottes et du petit-salé aux lentilles. La bataille idéologiqu­e de la mondialisa­tion se joue aussi dans nos assiettes

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– Je crois que la mode de la yourte est finie.

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