« La Chine veut être la premi
Doctrine. Pour le grand sinologue américain Michael Pillsbury, la stratégie de Pékin puise sa logique dans son histoire.
Michael Pillsbury est directeur du Centre de stratégie chinoise au Hudson Institute, un cercle de réflexion conservateur. Celui qui est tenu pour le plus grand spécialiste occidental de la Chine a publié « Le marathon de cent ans : la stratégie secrète de la Chine pour remplacer l’Amérique comme superpuissance mondiale » (non traduit à ce jour).
Le Point : Qu’est-ce que ce « marathon de cent ans » dans lequel la Chine serait engagée ? Michael Pillsbury :
Cela vient du livre de Liu Mingfu, « Le rêve chinois », publié en 2010. Ce colonel (voir p. 32) révèle qu’en 1955 Mao disait : « La Chine, en soixantequinze ans, peut rattraper et dépasser les Etats-Unis. » Mais il était trop optimiste, écrit Liu Mingfu. Le marathon durera cent ans. En faisant des recherches, j’ai appris que, depuis Mao, les faucons espéraient que la Chine remplace l’Amérique comme leader politique, économique et militaire du monde en 2049, pour le 100e anniversaire de l’accession de Mao au pouvoir. Ce plan est connu sous le nom de « marathon de cent ans », mais personne n’en parlait pour ne pas faire peur aux Américains. Les faucons, cependant, commencent à l’évoquer publiquement.
Selon vous, les Chinois s’inspirent des guerres féodales pour bâtir leur stratégie actuelle.
La st r a t é g i e des Chinois a ujourd’hui dérive largement des leçons de la période des Royaumes c o mbatta nt s (d u Ve si è c l e à 221 avant notre ère, quand la dy- nastie Qin s’impose). C’est incroyable ! Les généraux chinois connaissent par coeur les ruses et tromperies des sept grands royaumes, leur stratégie pour s’étendre, éliminer leurs rivaux, les coalitions pour s’imposer… En m’appuyant sur les témoignages de transfuges, j’ai commencé à lire des essais de militaires qui tirent de cette période une série de tactiques : entretenir chez l’adversaire un sentiment de sécurité et d’autosatisfaction, manipuler ses conseillers, piller ses idées et sa technologie, se montrer patient, être vigilant pour éviter d’être encerclé, peut-être la plus grande peur des Chinois… Disposer d’une grande armée ne constitue pas une garantie absolue de victoire, ce qui explique pourquoi les Chinois n’ont pas développé une force militaire plus puissante.
S’inspirent-ils aussi de l’histoire américaine ?
Les Chinois semblent fascinés par la transformation des Etats-Unis en superpuissance. Ils étudient comment leurs politiques commerciales et industrielles leur ont permis de dépasser l’Angleterre et l’Allemagne. Les manuels de l’école centrale du Parti citent l’Amérique du XIXe siècle : comment les EtatsUnis ont réussi à endormir les Anglais, comment ils leur ont volé leurs brevets… J’étais sidéré de trouver à la librairie de l’école du Parti, à cô t é de s o uv ra g e s s ur le s Royaumes combattants, une section consacrée aux techniques américaines de gestion.
Vous répétez que les EtatsUnis se sont toujours trompés sur la politique chinoise.
Depuis les années 1970, la politique américaine a été essentiellement menée par ceux qui cherchaient un « engagement constructif » avec la Chine. On était persuadé qu’elle était sur la voie de la démocratie, qu’il y aurait une forte coopération avec les Etats-Unis, qu’elle partageait les mêmes aspirations. On croyait que l’aide américaine à une Chine fragile, dont les leaders pensaient comme nous, l’aiderait à devenir une puissance démocratique et pacifique sans ambitions régionales ou même mondiales.
Pékin a développé un système sophistiqué pour tromper le monde extérieur. Il a persuadé l’Ouest que son ascension serait pacifique et ne se ferait pas au détriment d’autres pays, que la Chine était une nation arriérée qui avait besoin d’aide. En 1996, j’ai rencontré des militaires et des intellectuels qui nous ont décrit les problèmes d’environnement, le manque d’eau, les dangers des minorités ethniques, la corruption… J’étais épaté par leur candeur.
Pékin se montre aujourd’hui plus agressif.
A partir de 2007, la Chine s’est affirmée, et encore plus depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir, profitant du supposé déclin américain après la crise financière. Ça a commencé en mer de Chine méridionale. Les Chinois m’assuraient qu’ils ne deviendraient pas une puissance hégémonique parce qu’ils n’avaient
« Hu Jintao aurait dit qu’il est plus facile d’acheter Taïwan que de la conquérir. »
ni porte-avions ni bases militaires à l’étranger. Maintenant, ils ont les deux. La construction d’une base sur les îles Spratley vise à se positionner stratégiquement contre les pays voisins pour protéger les intérêts économiques chinois. J’ai assisté à une conférence à Pékin où l’on expliquait que la part de l’économie qui croît le plus vite,
ce sont les ressources océaniques, le pétrole, le gaz, la pêche…
La Chine est-elle dangereuse ?
Il n’y a pas de menace militaire immédiate. Les Chinois sont opposés à la conquête d’autres pays, comme l’ont fait Hitler ou le Japonais Tojo au siècle dernier. Ils sont pragmatiques. Ils peuvent obtenir le charbon, le pétrole grâce à leurs
entreprises publiques qui opèrent à l’étranger… Le président Hu Jintao aurait dit qu’il est plus facile et moins cher d’acheter Taïwan que de la conquérir.
La véritable menace serait l’absence de réformes et que, d’ici à 2049, elle enregistre un PIB double de celui des Etats-Unis. Pe ns e z à l a po l l ut i o n,