Et maintenant, l’autoroute de la Soie...
A coups de milliards, Xi Jinping compte mettre l’économie chinoise au centre du monde.
Les grues jaunes jaillissent de la jungle, striant le ciel grisâtre délavé par la mousson. La boue orange colle aux tongs des rares gamins qui affrontent la touffeur de l’après-midi et seuls les moteurs rugissants d’énormes camions cabossés viennent couvrir le bruissement d’insectes montant de la végétation luxuriante. Le râle assourdissant de la forêt tropicale.
Bienvenue au royaume du Million-d’Eléphants, comme les brochures touristiques aiment qualifier le Laos, pays parmi les plus pauvres d’Asie. Pourtant, ici, à Boten, c’est toujours la Chine, bien que nous ayons franchi la frontière de la montagne de l’Amitié. Cette bourgade fantôme a été louée à Pékin pour quatre-vingt-dix-neuf ans. On y parle le mandarin, on y vit à l’heure chinoise et les 3 000 habitants, dont 85 % viennent de l’empire du Milieu, captent le réseau téléphonique chinois.
Dans la rue principale, les ouvriers achètent des pattes de poulet grillées grâce à Alipay, l’application de paiement en ligne d’Alibaba. Et ce n’est qu’un début. « Nous avons
évacué les Laotiens. Ils sont trop lents et peu qualifiés. D’ici trois ans, il y aura 30 000 Chinois ici et, à terme, 100 000 », assène Duan Wenping, directrice marketing du Haifeng Group. Ce gros promoteur immobilier du Yunnan voisin compte transformer ce village, assoupi depuis la fermeture d’un sulfureux casino, en poste avancé de la civilisation chinoise.
Une gigantesque maquette dévoile ce projet pharaonique de cité radieuse surgissant de la jungle sur 34 kilomètres carrés. « On va raser sept collines pour gagner 10 000 hectares. Ici, il y aura le centre d’affaires, des duty free, une école de langues. On va bâtir 10 000 chambres d’hôtel pour les touristes chinois en quête d’air pur », explique notre guide. Sans oublier trois temples de style lao, pour le folklore, et un champ de courses de 500 hectares, « le plus grand d’Asie » .
Ce programme improbable aux confins d’un pays pauvre et enclavé ne rencontre pas de problèmes de financement. Il bénéficie de la garantie de l’Etat chinois, car il est estampillé du label Obor (One Belt, One Road – une ceinture, une route), le projet phare de Xi Jinping qui donne accès à des prêts préférentiels des banques chinoises. « Nous sommes grandement aidés par l’Obor. Boten va devenir un noeud de communication stratégique », confirme Duan. En effet, cette localité isolée est en passe de devenir un nouveau point de passage crucial pour la seconde économie mondiale, partie à l’assaut de l’Asie du Sud-Est avec des visées géostratégiques planétaires.
A équidistance entre Kunming, la plus grande ville du Yunnan, et Vientiane, la capitale du Laos, à 700 kilomètres, Boten va devenir un hub grâce à la construction en cours de deux axes. D’abord un chemin de fer qui reliera Pékin à Bangkok, puis Singapour à l’horizon 2025. Ensuite une autoroute dont les spectaculaires viaducs sont déjà visibles sur les contreforts du Yunnan, et qui basculera vers le Triangle d’or avant de débouler dans la plaine thaïlandaise jusqu’à Bangkok.
Cet axe doit permettre d’exporter les produits chinois vers les nouveaux marchés émergents du Sud, mais également de remédier au « dilemme de Malacca », qui taraude les stratèges depuis des siècles. Un embranchement doit en effet conduire vers le port birman de Moulmein, que Pékin veut déve-
lopper pour s’offrir un débouché direct sur l’océan Indien, courtcircuitant le fameux détroit de Malacca, par où transitent 80 % des importations chinoises de pétrole moyen-oriental. « En cas de guerre, nos approvisionnements venant d’Europe ou du Moyen-Orient ne dépendront plus du détroit, contrôlé par
Singapour », explique la responsable du projet immobilier. Une guerre contre qui ? L’Amérique, bien sûr.
Dans la Chine du parti unique, développement économique et intérêts géopolitiques marchent main dans la main. Ils s’inscrivent dans le « rêve chinois » du président Xi, qui a fait de la renaissance de la grande Chine un pilier de sa popularité depuis son arrivée au pouvoir en 2013. Et la nouvelle route de la Soie est le projet emblématique de son règne.
Offensive de charme. Désormais, tout document, discours d’officiel ou stratégie d’entreprise doit s’inscrire dans le cadre de l’Obor pour être audible. Mao avait lancé le « grand bond en avant », Deng Xiao Ping permit le décollage économique grâce à ses « trois modernisations ». Xi compte remettre l’empire du Milieu au premier rang mondial grâce à l’Obor.
« L’Obor se concentre sur l’Asie, l’Europe et l’Afrique et est ouverte à tous les amis », a lancé le nouveau timonier lors du premier sommet consacré à l’initiative, le 14 mai à Pékin. Dans l’assistance, Vladimir Poutine, le Turc Recep Tayyip Erdogan, le populiste philippin Rodrigo Duterte et l’eurosceptique hongrois Viktor Orban applaudissent, alors que Trump et les grands pays européens snobent l’événement. Déjouant les critiques occidentales,
Le programme est estampillé du label Obor (One Belt, One Road – une ceinture, une route).