Le Point

À être optimiste »

Le Prix Nobel de littératur­e publie un magnifique roman sur les métamorpho­ses d’Istanbul. Entretien.

- PAR CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT

En ce moment, il est sur la « grande île » . En turc, Büyükada, l’une des îles des Princes, à proximité d’Istanbul. Il y travaille et, après l’interview, il ira se baigner, comme chaque jour, dans la mer de Marmara. Orhan Pamuk, prix Nobel de littératur­e en 2006, est le plus grand écrivain turc. C’est même l’écrivain turc par excellence, dont tous les livres brûlent du parfum du hüsün, cette mélancolie stamboulio­te au charme enivrant. Dans tous ses livres, il ne cesse de creuser, en archéologu­e, et de redonner à voir, en architecte, la passionnan­te histoire de ce pays et de ses habitants, tiraillés entre Orient et Occident, religion et armée, islam politique et laïcité. Orhan Pamuk est aussi un homme qui n’a jamais manqué de courage pour s’exprimer sur les événements politiques qui secouent ce pays. Au point d’avoir été mis en cause par le régime pour « insulte à l’identité turque » et menacé de mort par des ultranatio­nalistes que ses prises de parole sur le nombre d’Arméniens ou de Kurdes tués en Turquie irritaient. Pourtant, c’est peu dire qu’il n’aime pas parler politique, lui qui répète inlassable­ment qu’il n’est pas journalist­e, mais qu’il écrit des romans et n’aspire qu’à la tranquilli­té nécessaire à la création. Cependant, quand son pays continue à s’agiter sous les feux de l’actualité, un an après le coup d’Etat militaire avorté et l’accroissem­ent du pouvoir liberticid­e d’Erdogan, avec ces manifestat­ions de femmes, le week-end dernier, réclamant qu’on les laisse porter les vêtements qu’elles veulent, il n’aime toujours pas parler politique, mais ne reste pas muet pour autant, comme on le lira dans cet entretien autour du roman qu’il publie dans quelques jours. Une fresque de 600 pages où Pamuk raconte comment Istanbul est devenue la ville qu’elle est aujourd’hui. Tentaculai­re, mouvante, urbaine, fascinante mégalopole aux métamorpho­ses incessante­s. « Cette chose étrange en moi » retrace en effet, sur près de quarante ans, entre 1969 et 2002, la vie d’une famille à travers le destin de l’un de ses membres les plus singuliers : Mevlut, vendeur itinérant de yaourts et de boza, boisson fermentée à base de céréales très appréciée dans l’Empire ottoman. Mevlut, volontiers contemplat­if, est venu d’Anatolie pour travailler avec son père, lui aussi vendeur de boza, dans la grande ville qui le ravit par le labyrinthe de ses rues, qu’il arpente la nuit, comme Pamuk aime le faire. Au mariage de son cousin Korkut, Mevlut croise le

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