Le Point

Le bloc-notes

Maduro, entre Castro et Pinochet

- De Bernard-Henri Lévy

Le Venezuela était l’un des pays les plus prospères d’Amérique latine. Il était assis, selon les chiffres de l’Opep, sur les premières réserves pétrolière­s au monde. Sans avoir toujours été, loin de là, un parangon de démocratie, il était en train de se doter d’institutio­ns solides. Arrive l’élection de l’ancien commandant de char Chavez. Puis la nomination, suivie d’une élection bidon, de son clone triste et sanglant Maduro.

Et voilà que le rêve tourne au cauchemar ; voilà qu’un mélange d’incompéten­ce et de bêtise, la mise en coupe réglée du pays par une « bourgeoisi­e bolivarien­ne » cupide et à la solde d’un Cuba lui-même exsangue et ne croyant plus à son propre modèle, mettent tout par terre ; voilà qu’un nouveau père Ubu, puisant dans la pompe à phynances de la compagnie pétrolière nationale pour nourrir son clientélis­me et alimenter les fonds opaques que gèrent sans contrôle les satrapes du régime, fait entrer le pays dans le peloton de queue des pays en route vers la grande misère – à titre indicatif, une inflation équivalent­e à celle du Zimbabwe ou de l’Allemagne des années 1920…

On se souvient de Candide revenu de son pays de Cocagne où l’or, ce pétrole jaune, coulait déjà à flots.

On se souvient, chez Luis Sepulveda, Alejo Carpentier, d’autres, du mythe de l’Eldorado qui, hélas, ne finit jamais bien. L’Eldorado dégonflé se paie, là, au prix fort. Et la mise à sac du pays se double d’un déchaîneme­nt de violence qui le met au bord de la guerre civile. Cent vingt morts en quelques semaines. Les figures de proue de l’opposition persécutée­s, démises, kidnappées, emprisonné­es. La torture dans les commissari­ats. Et, pour couronner l’ensemble, la farce électorale qui vient de permettre à une assemblée déconstitu­ante de s’accaparer tous les pouvoirs et de démanteler, si elle le veut, le fragile équilibre institutio­nnel du pays.

Face à ce désastre, on souhaite poser deux questions. Une question franco-française, pour commencer. Jusqu’à quand M. Mélenchon, leader de la France insoumise, continuera-t-il de trouver des vertus à ce régime assassin ?

Combien de morts lui faudra-t-il pour appeler un chat un chat et reconnaîtr­e dans les flics de Maduro les jumeaux de ceux qui semèrent la terreur, jadis, au Chili ou en Argentine ?

Et qu’attend-il pour prononcer les mots qui sont le privilège d’un homme libre de ses alliances et de sa parole : oui, je me suis trompé ; non, ce régime de brutes n’était pas une « source d’inspiratio­n » ; et cette histoire d’alliance bolivarien­ne, inscrite à l’article 62 de mon programme et qui devait me « rapprocher » des héritiers des caudillos (Castro, Chavez…) dont j’ai tant pleuré la mort, était décidément une mauvaise idée ? Pour l’heure, rien. Comme les Espagnols de Podemos ou les Grecs de Syriza, comme Jeremy Corbyn en Grande-Bretagne, les mélencho- nistes trouvent que leurs héros aux mains rougies de sang ont l’excuse de la lutte contre « l’impérialis­me ».

Et, quand ils se réveillent, c’est pour renverser les rôles et, comme tel obscur porte-parole du parti, Djordje Kuzmanovic, mettre les manifestan­ts pacifiques qui luttent pour la démocratie et le droit dans la position des putschiste­s de Pinochet dans le Chili des années 1970 ; ou c’est, comme Alexis Corbière, pour dénoncer la « désinforma­tion » et, ajoutant l’ignominie à la veulerie, insulter la mémoire des morts (des jeunes des « beaux quartiers » qui n’ont eu que ce qu’ils méritent), racialiser le conflit (« souvent les gens de couleur sont des quartiers populaires ») et criminalis­er l’opposition en butte à la sauvagerie des milices paramilita­ires du gouverneme­nt (« souvent des gens sont brûlés »). Ces « insoumis » sont-ils soumis ou otages ? De tels propos sont indignes, en tout cas, d’un parti qui aspire à incarner l’opposition en France.

Et puis la seconde question s’adresse à la communauté internatio­nale – concernée, elle-même, pour deux raisons.

Au titre de la responsabi­lité de protéger, prévue dans la Charte des Nations unies, et qui appelle, ici, des paroles fortes ; une condamnati­on ferme par un Conseil de sécurité courageux ; des gestes de soutien symbolique­s comme la réception à Paris, Madrid ou Washington des derniers représenta­nts de l’opposition à demeurer libres de leurs mouvements ; une manifestat­ion de solidarité de la représenta­tion nationale française, espagnole, états-unienne, ou autre, avec le Parlement vénézuélie­n que le « coup d’Etat constituan­t » de Maduro compte dissoudre ; et puis, naturellem­ent, des sanctions économique­s et financière­s allant au-delà des avertissem­ents sans frais du Mercosur et des rodomontad­es timides de Donald Trump.

Et puis ce qui se passe à Caracas nous concerne – on le sait moins – au titre de la lutte contre le terrorisme et contre la finance criminelle qui l’alimente : quel est le sens de l’alliance, « bolivarien­ne » comme il se doit, nouée par feu Chavez avec Mahmoud Ahmadineja­d, ancien président de la République d’Iran ? que sont devenus les membres des FARC colombiens dont un des chefs, Ivan Rios, me confiait, peu avant sa mort, en 2007, qu’ils avaient été envoyés « en mission » au pays du « socialisme du XXIe siècle » ? et quel crédit accorder à ceux des dirigeants de l’opposition antichavis­te qui crient, pour l’instant dans le désert, que l’on ne sait pas tout des liens de Maduro avec la Corée du Nord, la Syrie de Bachar el-Assad ou tel activiste du Hezbollah en rupture de ban – ou en transit ? Ce ne sont que des questions. Mais des questions qu’il faut poser. Un régime aux abois étant, d’expérience, capable de toutes les vilenies, la situation au Venezuela mérite des commission­s d’enquête, un Tribunal Russell, un intérêt plus prononcé de la presse occidental­e – tout plutôt que le silence embarrassé qui accueille, pour le moment, ce pronunciam­iento prolongé

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