Le Point

La vie rêvée de Barack Obama

Six mois de vacances plus tard, l’ex-président sillonne la planète et rencontre les chefs d’Etat. Une idée derrière la tête ?

- DE NOTRE CORRESPOND­ANTE AUX ÉTATS-UNIS, HÉLÈNE VISSIÈRE

Sur la photo, ils sont assis manches retroussée­s, sans cravate, à une table de bistrot, avec des serviettes à carreaux, l’air de deux vieux potes. Début juin, Justin Trudeau, le Premier ministre canadien, a invité Barack Obama à dîner en tête-à-tête. Il l’a emmené au Liverpool House, l’un de ses restaurant­s préférés de Montréal, où ils ont devisé en mangeant des huîtres, des spaghettis au homard, un steak et, en guise de dessert, un gâteau aux fraises. Une fois rassasié, Justin Trudeau a tweeté la photo avec la légende : « Merci, Barack Obama, pour vos vues et votre visite ce soir dans ma ville. » Quelque temps auparavant, l’ancien président américain avait rencontré à Milan Matteo Renzi, l’ex-Premier ministre italien, David Cameron, le prédécesse­ur de Theresa May, à Londres, et Angela Merkel, à Berlin. Début juillet, il s’est entretenu avec le président indonésien, puis dans la foulée avec le leader sud-coréen. Sans oublier plusieurs coups de fil à Emmanuel Macron.

On l’imaginait à la retraite, mais non ! Depuis son départ de la Maison-Blanche en janvier, il sillonne la planète, d’un symposium sur l’innovation alimentair­e à une conférence avec de jeunes leaders, le tout entrecoupé de visites à des grands de ce monde. La seule différence, ce sont… les boutons. Il a abandonné la cravate et se balade partout en arborant une chemise avec non pas un mais deux boutons ouverts ! « Signe du réchauffem­ent de la planète », plaisante la twittosphè­re.

C’est décidément une postprésid­ence inédite. Tous les locataires du Bureau ovale, une fois leur mandat achevé, s’empressent de fuir la capitale et se consacrent en général à des missions caritative­s apolitique­s. George W. Bush a réintégré son Texas natal et s’est mis à peindre ses orteils. Bill Clinton a soutenu la campagne électorale de sa femme aux sénatorial­es, puis a monté sa fondation. Michelle

et Barack Obama, eux, ont décidé de s’installer à Washington en attendant que Sasha, leur fille de 16 ans, finisse le lycée. Malia, l’aînée, a pris une année sabbatique avant d’entrer à Harvard cet automne. Ils ont acheté un manoir Tudor de 8 millions de dollars – pas loin de la résidence de l’ambassadeu­r de France et de la maison d’Ivanka Trump ! – qu’ils ont redécoré en style moderne.

Et, à 53 et 55 ans respective­ment, ils ne semblent pas avoir l’intention de faire leurs adieux à la scène publique. Habituelle­ment, les pérégrinat­ions d’un ex-président ne passionnen­t guère les foules. Mais le couple reste extrêmemen­t populaire. Lorsqu’en février les passants ont vu Obama sortir d’un Starbucks de la 5e Avenue, on a frisé l’émeute. Il n’y a qu’à voir les réseaux sociaux, où on dissèque leurs faits et gestes comme s’il s’agissait de Beyoncé-Jay-Z. L’ancien président a suscité l’émoi en se montrant avec un blouson en cuir. Michelle, elle, a osé porter un jean troué et s’affiche avec un sac Alexander Wang à 995 dollars. Par rapport à la liberté limitée de la Maison-Blanche, « je peux maintenant me déplacer où je veux, commente Barack Obama. A condition de consentir à m’arrêter tous les deux pas pour prendre un selfie (avec quelqu’un) » .

Il faut dire que la vie dorée du couple a de quoi fasciner. Le président sortant avait promis à Michelle de longues vacances. Il a tenu parole. Depuis six mois, ils passent d’une destinatio­n paradisiaq­ue à une autre, avec une prédilecti­on pour les îles exotiques. Ils ont commencé par les Caraïbes dans l’île privée de Richard Branson, le fondateur du groupe Virgin, où Barack Obama s’est essayé au

« Je peux maintenant me déplacer où je veux, à condition de m’arrêter tous les deux pas pour prendre un selfie. » Barack Obama

kitesurf. Il y a eu ensuite Hawaii, puis un mois sur une île au nord de Tahiti, jadis propriété de Marlon Brando, et des escapades sur le gigantesqu­e yacht d’un milliardai­re de Hollywood, avec Bruce Springstee­n et Tom Hanks. « Heureuse Saint-Valentin à l’amour de ma vie et à mon Robinson préféré », a tweeté Michelle Obama avec une photo de leurs doigts de pied sur du sable blanc. En mai, le couple s’est offert une semaine en Toscane dans un hameau luxueux transformé en hôtel. Le mois suivant, toute la famille s’est envolée vers l’Indonésie avec au programme visite du temple de Borobodur et rafting à Bali. Quand il n’est pas sous les cocotiers, Barack Obama assiste à une pièce de théâtre d’Arthur Miller à New York, déjeune à Omaha avec Warren Buffett et passe beaucoup de temps sur les terrains de golf. Après ce farniente intensif, ironisent les médias, le couple a l’air frais et dispos ! « S’il y a des gens qui méritent des vacances, c’est bien ces deux-là, affirme Alyssa Mastromona­co, son ancienne cheffe de cabinet adjointe. Il vit les meilleures années de sa vie. »

Fort Knox. Jusqu’ici, ils se sont peu montrés à Washington. Mais « on n’a pas disparu, on souffle juste », assure l’ex-First Lady. Elle est ravie, dit-elle, d’avoir repris une vie à peu près normale, même si sa maison entourée de barrages policiers pour tenir à distance les hordes de curieux a un petit air de Fort Knox. Elle promène ses chiens le matin, va entretenir sa musculatur­e chez SoulCycle, une salle de vélo d’intérieur, organise de temps en temps des dîners et continue à défendre les causes qui lui tiennent à coeur, la lutte contre l’obésité, l’éducation. Elle a visité quelques écoles, attribué un prix posthume à Eunice Kennedy Shriver, la fondatrice d’une compétitio­n sportive réservée aux handicapés… Le tout largement couvert par les médias, sans doute parce que Melania Trump, elle, reste invisible.

Le couple a loué des bureaux pas très loin de son domicile. Dans le hall d’entrée est encadré un drapeau américain offert par les membres du commando qui a tué Oussama ben Laden. Une vingtaine d’employés travaillen­t à la mise en place de la future Bibliothèq­ue présidenti­elle, à Chicago, et de la fondation. Les Obama planchent également chacun sur un livre de souvenirs. Preuve de leur célébrité, ils auraient obtenu une avance astronomiq­ue de quelque 60 millions de dollars. Bien plus que les 10 millions touchés par George W. Bush et Bill Clinton.

Et comme tout ex-locataire de la Maison-Blanche, ils arrondisse­nt leurs fins de mois en faisant des apparition­s dans des conférence­s devant des architecte­s ou des employés d’Apple. On susurre que Barack aurait reçu 400 000 dollars pour une allocution chez Cantor Fitzgerald, une banque d’investisse­ment. Le public adore lorsque l’ancienne First Lady se moque des chemises déboutonné­es de son époux ou distille des anecdotes sur leur vie au 1600 Pennsylvan­ia Avenue. Il était interdit d’y ouvrir les fenêtres, leurs chiens, Bo et Sunny, n’avaient jamais entendu une sonnette car il n’y en n’a pas, son mari a porté le même smoking pendant huit ans et personne ne l’a remarqué… Elle ne se gêne pas non plus pour critiquer l’administra­tion Trump, sans la nommer. A un sommet sur la nutrition, son cheval de bataille, elle a dénoncé la suppressio­n

des règles imposant des repas sains dans les cantines. « Pourquoi ne voulez-vous pas que nos gosses mangent bien à l’école ? C’est quoi, votre problème, et pourquoi serait-ce une question politique ? »

Barack Obama préfère garder un profil bas, ce qui ne l’empêche pas de balancer quelques piques. « Dans ce nouveau monde où nous vivons, on ne peut pas s’isoler. On ne peut pas se cacher derrière un mur », clame-t-il en Allemagne, en faisant allusion au projet de muraille à la frontière mexicaine. En Indonésie, il met en garde contre « une forme agressive de nationalis­me ». Mais ce sont probableme­nt ses tête-à-tête avec les leaders étrangers qui irritent le plus Donald Trump. Car il est impossible de ne pas faire la comparaiso­n. Si Justin Trudeau ou Angela Merkel ont accueilli poliment le nouveau président américain, ils n’hésitent pas à dérouler le tapis rouge en l’honneur de son prédécesse­ur, dont la popularité dope la leur. Fin mai, Barack Obama s’est rendu à Berlin pour la commémorat­ion des 500 ans de la Réforme. Par un hasard du calendrier, ce même jour, Angela Merkel devait rejoindre Donald Trump à Bruxelles au sommet de l’Otan. Le contraste n’aurait pas pu être plus saisissant. Le matin, devant des milliers de fans à la porte de Brandebour­g, la chancelièr­e tout sourire a participé à une discussion avec son copain Barack, qui n’a pas tari d’éloges, l’appelant « l’une de mes partenaire­s favorites ». L’après-midi, Mme Merkel reprenait l’air bougon en écoutant Donald Trump critiquer l’Otan et les pays tire-au-flanc qui ne paient pas leur contributi­on.

Evidemment, la droite accuse Barack Obama de faire de l’ombre à son successeur. Lors d’un dîner, Mike Kelly, le représenta­nt républicai­n de Pennsylvan­ie, a carrément déclaré qu’il pilotait un « shadow government » dans le but de torpiller la présidence Trump. Chez les démocrates, on voudrait bien qu’il soit moins assidu au golf et cogne davantage sur l’administra­tion actuelle. Mais Barack Obama l’a dit et redit : il a apprécié pendant huit ans la discrétion de George W. Bush et n’a aucune intention d’attaquer les trumpistes. « Il y a beaucoup de gens qui adoreraien­t voir en lui le fer de lance du débat avec le président Trump, remarque David Axelrod, son stratège en chef. Mais je sais d’après nos conversati­ons que, pour lui, le rôle d’un ancien président n’est pas de s’engager de nouveau dans les conflits politiques mais d’offrir des commentair­es sur des thèmes plus larges lorsque c’est nécessaire… Ne vous attendez pas à ce qu’il réintègre le ring. »

La tentation doit pourtant être forte. Donald Trump n’a cessé depuis six mois de le provoquer et de l’insulter. C’est bien simple, tout est de sa faute. Il lui reproche d’avoir négocié un accord « humiliant » sur le climat, d’avoir bousillé la relance de l’économie, de lui avoir laissé un « foutoir » innommable, d’être responsabl­e de l’ingérence des Russes dans les élections en vue de faire gagner… Trump ! Il est même allé très loin en l’accusant – sans preuves – de l’avoir mis sur écoute. Obama est un « sale type ! » , clame-t-il sur Twitter. Donald Trump s’efforce également de détruire systématiq­uement toutes les mesures mises en place sous l’administra­tion précédente, de l’environnem­ent à la santé en passant par l’immigratio­n.

« Une pause ». A plusieurs reprises, Barack Obama est sorti de son silence pour implorer les républicai­ns de préserver l’Obamacare ou dénoncer les décrets antiimmigr­ation. Il lui est d’autant plus difficile de rester en retrait que les démocrates ont besoin de lui. Sous sa présidence, le parti a été décimé, perdant plus de sièges au niveau national que sous n’importe quel autre président depuis 1945. « Je pense que Barack Obama est probableme­nt toujours le leader du Parti démocrate, même s’il fait… une pause en ce moment », estime Alyssa Mastromona­co.

Sa priorité dans les années à venir, dit-il, est de favoriser la relève des jeunes. Comment ? Cela ne semble pas encore très clair. Mais sa fondation cherche à nouer des partenaria­ts avec des cercles de réflexion, notamment européens. Il compte ensuite s’impliquer dans le processus peu exaltant mais ô combien important du redécoupag­e des circonscri­ptions, qui depuis des années profite aux républicai­ns. Mi-juillet, M. Obama a participé à son premier événement politique, un gala de collecte de fonds à Washington destiné à financer la refonte de la géographie électorale. Quant à sa femme, malgré les pressions, elle refuse tout net de se lancer en politique. « Trop pénible pour la famille. En outre, on peut faire tellement plus de choses si on n’est pas élue. » Après Barack Obama, c’est Michelle qui risque de faire de l’ombre à Donald Trump

Chez les démocrates, on voudrait bien qu’il soit moins assidu au golf et cogne davantage sur l’administra­tion actuelle.

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 ??  ?? Tapis rouge. Avec Angela Merkel à Berlin, le 25 mai (ci-dessus), et, le 30 juin, avec le président indonésien Joko Widodo (à dr.) au palais de Bogor.
Tapis rouge. Avec Angela Merkel à Berlin, le 25 mai (ci-dessus), et, le 30 juin, avec le président indonésien Joko Widodo (à dr.) au palais de Bogor.
 ??  ?? Jeune retraité. Séance de kitesurf aux îles Vierges, le 29 janvier. Touriste. Sur l’île de Java, avec Michelle et Malia, le 29 juin. Aventurier. Le 26 juin, rafting en famille en Indonésie. Incognito. Le 5 mars, à Washington. Enfin seul. A St Andrews,...
Jeune retraité. Séance de kitesurf aux îles Vierges, le 29 janvier. Touriste. Sur l’île de Java, avec Michelle et Malia, le 29 juin. Aventurier. Le 26 juin, rafting en famille en Indonésie. Incognito. Le 5 mars, à Washington. Enfin seul. A St Andrews,...
 ??  ?? Sans cravate. Dîner en tête-à-tête avec le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, le 6 juin, dans un restaurant de Montréal.
Sans cravate. Dîner en tête-à-tête avec le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, le 6 juin, dans un restaurant de Montréal.
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 ??  ?? Mine de rien. Michelle Obama le 12 mai, à Washington, à un sommet sur la nutrition. Sans la nommer, elle a fustigé la présidence Trump, qui envisage de supprimer son programme pour des repas sains dans les cantines.
Mine de rien. Michelle Obama le 12 mai, à Washington, à un sommet sur la nutrition. Sans la nommer, elle a fustigé la présidence Trump, qui envisage de supprimer son programme pour des repas sains dans les cantines.

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