Ce Carlos Ghosn que l’on ne connaît pas
A la veille de son arrestation au Japon, en novembre, l’ex-PDG de Renault-Nissan est revenu au Liban, pays de son enfance, où il rêve de s’installer. Récit de son dernier week-end avant le coup de tonnerre.
JEUDI 15 NOVEMBRE
Son jet Gulfstream pose son train d’atterrissage sur le tarmac de l’aéroport international Rafic Hariri, à Beyrouth. L’avion privé de Nissan, immatriculé NI55 AN, a décollé du Maroc quelques heures auparavant. Il est 15 heures. Le soleil illumine la capitale libanaise. L’atmosphère est encore chaude ; une vingtaine de degrés, annonce le commandant de bord à son passager. Carlos Ghosn, le PDG de l’alliance Renault-Nissan est autorisé à rallumer son portable. Il envoie aussitôt un SMS à son ami Carlos Abou Jaoude, qui est aussi son avocat au Liban. « Je viens d’atterrir. Tu vas bien ? On se voit toujours demain ? » Ghosn a prévu de passer un grand week-end à Beyrouth. Un grand week-end de travail, parce qu’il ne sait pas faire sans, mais aussi un grand week-end de détente. La semaine suivante s’annonce proprement épuisante, avec une série de réunions d’une importance considérable à Yokohama, au siège du constructeur japonais Nissan. Sa femme, Carole, est aussi sur place.
Depuis quelques années, Carlos Ghosn apprécie de revenir de plus en plus souvent chez lui. Dans cette capitale historiquement chaotique, physiquement déglinguée et aussi pleine de vie, aux charmes méditerranéens irréductibles. C’est ici que le PDG aux sourcils en forme d’accent circonflexe a grandi. Son chauffeur l’attend à la sortie de l’aéroport. Son chauffeur n’est pas seul. Quand il pose le pied au Liban, Ghosn est systématiquement accompagné d’une escorte discrète des forces spéciales libanaises. C’est une exigence du gouvernement. Au pays du Cèdre, le PDG de Renault est un peu plus qu’un VIP international, il est une star absolue… qui a déjà reçu des menaces. Jusqu’à très récemment, quand Carlos Ghosn séjour- nait à Beyrouth, il descendait à l’hôtel. Jamais deux fois de suite à la même adresse.
Désormais, l’homme aux trois passeports – français, brésilien et libanais – vit dans sa maison. Une filiale de Nissan a acheté une vieille demeure libanaise en 2012 et, après de longues années de restauration, Carlos Ghosn a emménagé au printemps. Dans la voiture, tout en jetant un coup d’oeil à la banlieue sud, fief du Hezbollah, qu’on traverse en venant de l’aéroport, il en profite pour envoyer d’autres textos à ses amis beyrouthins. « Je suis là. » Peu de gens, dans le monde, possèdent dans leur répertoire le numéro personnel de Carlos Ghosn. Même ses plus proches collaborateurs n’y ont pas droit. Mais à Beyrouth, la densité d’individus détenant cette suite de dix chiffres est élevée. On trouve ici les vieux copains de classe, les associés en affaires et les cousins.
En fin d’après-midi, ce jeudi-là, Carlos Ghosn retrouve donc avec délice le confort de sa grande maison rose. Elle est située dans une rue étroite et en pente du quartier chrétien de Beyrouth-Est, où le prix du mètre carré a explosé. Dans les rues d’Achrafieh, on peut trouver des vins de Bordeaux ou du cassoulet, des galeries d’art, des petites boutiques de mode et des antiquaires. Etat des lieux : 500 mètres carrés habitables, cinq étages, cinq chambres, une salle de gym, une cave à vins, un garage qui peut accueillir cinq voitures. Des anciennes demeures libanaises comme celle-ci, dont la façade imposante empiète légèrement sur la rue, il n’en reste plus beaucoup dans cette ville où les grues ont pris le pouvoir. Comme c’est souvent le cas quand on creuse le sol à Beyrouth, les ouvriers, en consolidant les fondations, ont exhumé deux sarcophages anciens. La loi libanaise prévoit que le propriétaire peut les conserver sur place s’il fait le nécessaire pour les préserver. Carlos Ghosn peut admirer ces reliques protégées par un écrin vitré
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