Le rêve fiscal meurtri de 1789
Principe acté dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le consentement à l’impôt ne fait plus recette.
Même
si les interventions télévisées des gilets jaunes ne témoignent guère de leurs capacités supérieures à manier les concepts, même si un gros effort d’imagination est nécessaire pour voir en Eric Drouet et en Christophe Chalençon des héritiers de John Locke et de Montesquieu, il faut malgré tout reconnaître au mouvement né sur les ronds-points le mérite d’avoir rouvert des débats qui ont longtemps passionné les plus grands philosophes. Par exemple celui du « consentement à l’impôt ».
Le grand principe selon lequel les citoyens acceptent de payer de leur plein gré des impôts fut à l’origine même du parlementarisme en Occident, les représentations nationales ayant eu pour première mission de contrôler et de limiter le pouvoir fiscal jusqu’alors absolu du monarque. Principe précisé lors de la Révolution française dans l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. » Aux yeux des révolutionnaires, l’impôt devait cesser d’être un prélèvement arbitraire obtenu sous la contrainte royale pour devenir une « contribution » volontaire et patriotique destinée à financer des dépenses d’intérêt général.
Deux siècles et demi plus tard, la crise des gilets jaunes indique clairement que cette vision idyllique d’un impôt librement accepté et payé par des citoyens heureux et enthousiastes de participer au bien-être de la collectivité en reversant une partie de leurs revenus à l’Etat reflète mal la réalité. Selon un sondage Ipsos réalisé pour Le Monde en novembre 2018, seule une courte majorité de Français (54 %) ont « le sentiment de faire un acte citoyen » en payant leurs impôts et 74 % d’entre eux estiment qu’ « ils contribuent trop au système fiscal en regard des avantages sociaux qu’ils en tirent » . Bref, la noble idée originelle du « libre consentement à l’impôt » semble relever aujourd’hui de la pure fiction.
Ce qui n’est pas vraiment nouveau, ni propre à la France. Avec un certain réalisme, l’économiste américain Murray Rothbard écrivait déjà en 1982 dans « L’éthique de la liberté » : « Les apologistes de l’Etat soutiennent que l’impôt serait en fait volontaire. Il suffit, pour réfuter cette thèse, de se demander ce qui arriverait si les hommes d’Etat renonçaient à l’imposition et se contentaient de demander des contributions volontaires. Y a-t-il quelqu’un qui pense vraiment que le Trésor public verrait toujours affluer des fonds comparables aux phénoménales recettes de l’Etat actuel ? »
Si l’impôt est à l’évidence de nos jours de moins en moins consenti et donne de plus en plus le sentiment d’être « imposé », c’est d’abord parce qu’il a profondément changé de nature. Longtemps acquitté par les citoyens en contrepartie de services directs fournis par l’Etat (essentiellement assurer la protection des personnes et des biens), l’impôt est maintenant devenu avant tout un outil de justice sociale destiné à réduire les inégalités de revenus en les redistribuant. Cette métamorphose contribue à rendre le système fiscal totalement opaque, plus personne n’ayant la moindre idée de l’usage précis qui est fait de ses impôts. D’autant plus opaque que, en raison de la prolifération des taxes et cotisations en tout genre, plus personne ne connaît la part exacte de ses revenus qu’il reverse à l’Etat. Une conséquence de cet embrouillamini fiscal est que les « riches » sont persuadés que les « pauvres », parce qu’ils sont exonérés de l’IR, n’acquittent aucun impôt, alors qu’ils paient leur lot de CSG, de TVA, de TICPE etc. A l’inverse, les « pauvres » sont convaincus que les « riches » échappent entièrement à l’impôt, ce qui est tout aussi faux : le montant annuel des prélèvements directs sur les revenus du 1 % de Français les plus aisés s’élève en moyenne à 85 000 euros. Au lieu de créer, comme espéré par les révolutionnaires, du lien social et citoyen, l’impôt apparaît aujourd’hui au contraire comme un facteur de tensions, de discorde et de désordre. …
Au lieu de créer du lien social, l’impôt apparaît aujourd’hui comme un facteur de tensions, de discorde.