L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert
C’est le meilleur film français depuis longtemps : dans son genre, « Le chant du loup », d’Antonin Baudry, est un chef-d’oeuvre. Avec une tension dramatique qui ne s’essouffle jamais, il nous raconte une histoire palpitante qui se déroule dans le monde du silence, celui des sous-marins nucléaires à l’affût des bruits, dans les profondeurs des océans.
Si « Le chant du loup » n’a pas reçu l’accueil critique qu’il méritait, c’est normal : nous sommes en France, mère patrie des passions tristes selon Spinoza, la jalousie, l’aigreur, la haine, etc. Voilà une oeuvre portant de vraies valeurs, sans antimilitarisme primaire, jamais alourdie par l’angélisme des jocrisses ou le prêchiprêcha des jobards. Nous n’avons pas l’habitude !
Celui qui a réussi quelque chose dans sa vie, il doit être exécuté, pour paraphraser la chanson de Guy Béart. Puissent les petits cochons ne pas manger Antonin Baudry qui vient de donner un sacré coup de pied à la « belle endormie » qu’est aujourd’hui, à quelques exceptions près, le cinéma français. Parole de spectateur, même si son suspense fait transpirer, on se sent mieux en sortant de la projection du film qu’en y entrant.
Pourquoi ne pas filer la métaphore ? La France vit sous plusieurs menaces qui ne sont pas toujours celles que l’on croit. Depuis plusieurs semaines, elle semble retourner à ses vieux démons que sont le pessimisme et l’abattement. Quand, à bord d’un sousmarin, le sonar annonce la présence à proximité d’un submersible ennemi, l’officier marinier chargé d’écouter les bruits, spécialiste d’analyses acoustiques, entend ce qui donne son titre au film d’Antonin Baudry : le chant du loup.
N’y a-t-il plus rien à faire pour notre cher et vieux pays alors que monte, de ses territoires, le chant du loup ? Tout n’est pas perdu. A condition que le président et les principaux chefs de parti tirent sans attendre les leçons d’une des crises sociales, existentielles, les plus graves des dernières décennies. Même si le mouvement des gilets jaunes est en train de s’éteindre à petit feu, des répliques, comme disent les vulcanologues, sont à prévoir tôt ou tard.
Nous vivons un de ces moments de l’Histoire où tout peut basculer : dans un pays rongé par les haines comme par des puces, alors que les communautés et les classes sociales se regardent en chiens de faïence, nos gouvernants n’ont plus droit à l’erreur. Il faut tout à la fois réformer, apaiser, réveiller, rassurer. Parler aussi, puisque, comme le disait Aristide Briand, « la politique, ça consiste d’abord à parler aux gens ».
M. Macron parle, parle, parle. Mais est-il l’homme de la situation ? Rien ne permet encore de l’affirmer. En tout cas, il est là, il se démène, il triangule, il apprend. Il faudra faire avec. Même s’il n’a pas encore la manière, il s’en faut, il fait des progrès. L’affaire des gilets jaunes, qu’il a mal gérée, l’a sans doute mûri : après s’être retrouvé Gros-Jean comme devant, Jupiter en a rabattu et c’est tant mieux. Echappant de peu à la catastrophe, il a enfin compris que l’Histoire était tragique.
Si la France est une personne, il ne reste plus qu’à espérer qu’elle est entrée, avec son président, dans une phase de résilience dont elle sortira grandie. Le chant du loup nous dit qu’après les cassages urbains du samedi soir, une guerre civile n’est plus une hypothèse absurde ; que l’éducation est toujours à la peine, sur fond d’incivilités ; que le chômage de masse est un phénomène spécifiquement français ; que des territoires de la République sont perdus depuis des décennies, avec la complicité de collabos de tout poil à genoux devant les islamistes. Sans parler de l’économie, au fond du trou, comme le montrent nos déficits publics abyssaux ou les résultats quasi apocalyptiques de notre commerce extérieur, qui affiche un déficit de 59,9 milliards d’euros.
La faute à l’Europe, comme le disent les souverainistes ? C’est une blague. L’Union n’est pour rien dans cette situation comme le prouvent les performances de l’économie allemande qui, dans le même cadre, devrait nous faire rougir de honte avec un excédent commercial de 13,9 milliards. Ce n’est pas non plus la faute de M. Macron, qui a hérité de trente ans d’incurie et d’irresponsabilité budgétaire. Mais force est de constater que le président n’a toujours pas commencé à réduire les dépenses publiques, qui sont les plus élevées du continent (56 % du PIB), avec les résultats que l’on sait.
Pour relever ce défi herculéen, il lui faudra gouverner autrement et rompre avec le style Louis XIV qui fut celui de tant de ses prédécesseurs et que décrivait ainsi Saint-Simon : « Il voulait régner par lui-même ; sa jalousie là-dessus alla sans cesse jusqu’à la faiblesse. Il régna en effet dans le petit, dans le grand il ne put y atteindre, et jusque dans le petit, il fut souvent gouverné. »