Les éditoriaux de François Lenglet, Pierre-Antoine Delhommais, Nicolas Baverez
La montée de l’Etat néerlandais dans le capital d’Air France-KLM ne peut que donner des ailes à la compagnie française.
Il n’est pas un jour sans que la France exhorte l’Europe à se doter de « champions » industriels sur le modèle d’Airbus : Airbus du rail avec la fusion Alstom-Siemens, Airbus de la batterie électrique pour les voitures, en attendant… l’Airbus de la Cocotte-Minute ou celui de la clé à molette. Ce fantasme du champion européen vient pourtant de prendre un coup dans l’aile avec l’extraordinaire montée en puissance de l’Etat néerlandais au capital d’Air France-KLM, réalisée de façon subreptice pour être à parité avec les Français au sein de la compagnie.
Le raid batave a révélé un fait politique important : le retour de l’intérêt national en Europe. Révélation d’autant plus éclatante qu’elle est le fait non pas de la Hongrie populiste, mais de l’un des pays fondateurs de l’Europe, de culture libre-échangiste, dirigé de surcroît par un Premier ministre libéral. Si même les Hollandais deviennent nationalistes, l’ère des champions européens est bel et bien révolue… L’Europe va devoir changer ses Airbus et coutumes.
Pour autant, ce serait une erreur de ne voir dans l’irruption d’Amsterdam que la manifestation belliqueuse d’un regain nationaliste. Il y a là aussi un message pour les Français et leur gouvernement. Et certainement une opportunité pour Air France – la première depuis longtemps.
Depuis le rachat de KLM, il y a quinze ans, la compagnie néerlandaise a doublé son chiffre d’affaires, tandis que celui d’Air France n’a pas progressé. Sa marge approche 10 %, alors que celle de la France est inférieure à 2 %. Conséquence, KLM réalise plus de 80 % des bénéfices du groupe cette année. Une disproportion récurrente, qui a inversé le rapport de forces. Exactement comme pour Renault et Nissan, le racheté est devenu plus fort que le racheteur. Plus performant. Plus compétitif.
Un racheté d’autant plus exaspéré qu’il observe, depuis les paisibles moulins à vent de Batavia, le pays du consensus social, les soubresauts de sa maison mère. Des grèves incessantes qui ont coûté à l’entreprise 1 milliard d’euros depuis 2014. Un directeur des ressources humaines molesté par des syndicalistes voyous qui le forcent à escalader un grillage en lui arrachant sa chemise, devant les caméras du monde entier. Des hauts fonctionnaires sans aucune expérience de l’aérien, qui se succèdent à la tête de l’entreprise, nommés par décret élyséen, pour de courtes périodes ponctuées d’explosions sociales. Des pilotes irresponsables, qui bloquent délibérément l’expansion des filiales en croissance par crainte de voir leurs prébendes remises en cause.
S’il y avait un bonnet d’âne de l’économie mixte à la française, Air France serait tenante du titre.