Le Point

Roman : le somnifère miracle de Tahar Ben Jelloun

- PAR FRANZ-OLIVIER GIESBERT

L’insomnie est un bienfait des dieux. Elle permet d’avoir deux ou trois vies de plus que le commun des mortels. Mais ce peut être aussi une maladie, voire un supplice, quand le temps de sommeil descend au-dessous du seuil fatidique de deux ou trois heures.

Le narrateur de « L’insomnie », le nouveau roman de Tahar Ben Jelloun, un scénariste de Tanger à la ramasse, a découvert que pour bien dormir il devait tuer quelqu’un. C’est le point de départ d’un livre déjanté, irrésistib­le, écrit sourire en coin, avec l’oeil qui frise.

Conteur hors pair, Tahar Ben Jelloun réussit à nous faire croire à cette histoire à dormir debout. Naguère, le sommeil emportait le narrateur quand il essayait de lire «Les gommes », d’ Alain Robbe-Grill et, souvent présenté comme le chef-d’oeuvre du nouveau roman. Un livre culte autour d’un faux meurtre qui laisse, que l’on me pardonne, un insondable sentiment d’ennui. Un pansement. Mais son effet somnifère n’a duré qu’un temps pour le narrateur.

Il lui faut désormais des sensations plus fortes pour retrouver Morphée. « L’insomnie » commence sur les chapeaux de roue : « J’ai tué ma mère. Un oreiller sur le visage. J’ai appuyé un peu. Elle n’a même pas gigoté. Elle a cessé de respirer. » Ensuite, le narrateur dormira comme un ange et, quelque temps plus tard, devra tuer à nouveau pour trouver le sommeil. Y passeront sa demi-soeur diabétique, qui « attend que Dieu vienne l’emporter » , un vieillard en fin de vie de l’hôpital Mohammed-V, un pédophile surnommé « Pointeur » et beaucoup d’autres encore.

Chaque fois qu’il assassine une personne, le narrateur récupère de nouveaux points de crédit sommeil. Ça pourrait devenir lassant, mais pas du tout : Tahar Ben Jelloun nourrit son roman de retourneme­nts, d’élucubrati­ons désopilant­es, de digression­s cinématogr­aphiques. Sans oublier les considérat­ions sur les « nuits blanches » , « nuits à oublier, à jeter à la poubelle » , « nuits indignes du jour, du soleil, de la lumière et de la beauté du monde ». Il n’y a pas à tortiller, c’est un expert qui parle. « Pourquoi dormir alors qu’on peut faire tant de choses ? demande le narrateur. Faire de la musique, écrire des histoires, dessiner des arbres à l’infini, cuisiner des plats avec des épices venues d’ailleurs… » Affirmatio­n contredite par les hallucinat­ions dans lesquelles finit cette envoûtante « Insomnie »

« L’insomnie », de Tahar Ben Jelloun (Gallimard, 272 p., 20 €).

LE NARRATEUR A DÉCOUVERT QUE POUR BIEN DORMIR IL DEVAIT TUER QUELQU’UN… UN LIVRE DÉJANTÉ, IRRÉSISTIB­LE.

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Tahar Ben Jelloun.

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