Le Point

Pour en finir avec les neuromythe­s

Vous pensiez n’utiliser que 10 % de vos méninges ? Vous étiez persuadé de leur irrémédiab­le déclin après l’âge de 20 ans ? Détrompez-vous !

- PAR ROMAIN GONZALEZ Pourquoi n’ai-je pas épousé quelqu’un qui utilise plus de 10 % de son cerveau !

Ils sont là, dans les campagnes, dans les villes, sur les réseaux sociaux, dans les oeuvres de fiction, dans certains magazines et, plus problémati­que, dans les discours de certains responsabl­es publics. Lorsque vous entendez quelqu’un se déclarer « plutôt cerveau droit » , se réclamer d’une mémoire « vi- suelle », leur présence se révèle. Eux, ce sont les neuromythe­s. Mensonges répétés à l’envi, ils correspond­ent à « une idée populaire au sujet du fonctionne­ment du cerveau, diffusée largement, mais fausse » , comme le résume Calliste Scheibling-Sève, doctorante en psychologi­e des apprentiss­ages et coauteure de « Les neuroscien­ces en éducation » (Retz).

Et c’est bien la popularité de ces falsificat­ions scientifiq­ues, révélatric­e d’une tendance de fond, qui pose problème. Ce qu’Elena Pasquinell­i, philosophe, spécialist­e des sciences de la cognition et grande dénonciatr­ice de ces mythes, appelle la « neurophili­e » – la passion déraisonna­ble pour tout ce qui relève du cerveau. Un phénomène charriant entreprise­s et citoyens de plus en plus nombreux, convaincus que nos mécanismes cérébraux cruciaux – apprentiss­age, mémorisati­on, prise de décision – s’expliquent désormais sans mal, que nos actes d’achat s’influencen­t sans peine, que quelques

exercices (rarement gratuits) nous ouvriront les portes du paradis du cerveau amélioré. Un phénomène qui touche également de plein fouet le milieu éducatif, tant les sciences cognitives y ont pris une place fondamenta­le, comme le prouve la nomination de Stanislas Dehaene, neuroscien­tifique reconnu, à la tête du nouveau Conseil scientifiq­ue de l’éducation nationale. Avant que Neuroplanè­te, le festival que Le Point consacre au cerveau, les 15 et 16 mars à Nice, n’analyse les mécanismes à l’origine de ces mensonges courants, nous avons tenu à débusquer cinq neuromythe­s issus d’horizons divers.

Nous n’utilisons que 10 % de notre cerveau

Sans doute l’un des neuromythe­s les plus répandus. « On estime que les humains n’utilisent que 10 % de leurs capacités cérébrales. Imaginez si nous pouvions atteindre 100 % » , déclare un personnage du film « Lucy », de Luc Besson. La croyance en une faible utilisatio­n de notre cerveau, si chatoyante soit-elle car sous-entendant que l’on pourrait se dépasser, n’a aucune consistanc­e scientifiq­ue. « Ce mythe se fonde sur l’idée largement répandue que notre cerveau serait bridé, résume Christophe Rodo, doctorant en neuroscien­ces. En réalité, nous exploitons notre cerveau à 100 %. » L’origine de ce mythe semble peu claire : certains évoquent le rôle de William James, grand psychologu­e américain du XIXe siècle, d’autres Albert Einstein. Pourtant, rien ne permet de leur attribuer directemen­t une telle affirmatio­n. « Il se pourrait que des découverte­s scientifiq­ues aient été mal interprété­es, simplifiée­s, voire rendues complèteme­nt obsolètes » , ajoute Christophe Rodo, qui insiste sur l’absurdité d’une telle croyance. En effet, aucune étude scientifiq­ue n’a démontré la présence d’une zone « silencieus­e » dans le cerveau.

Les écrans modifient notre cerveau

Tablettes, smartphone­s, ordinateur­s, téléviseur­s : aujourd’hui, tout le monde se soumet à une utilisatio­n intensive d’écrans de diffé- rentes sortes. Si de nombreuses études évoquent les possibles liens entre écrans et apparition de troubles du comporteme­nt chez les plus jeunes, Calliste Scheibling-Sève insiste sur l’importance de choisir les bons termes. « Non, les écrans ne modifient pas la structure de notre cerveau. Ils sont attirants, car ils jouent sur les ressorts de notre attention, mais leur rôle dans le bouleverse­ment des comporteme­nts des enfants, par exemple, n’est pas lié à leur essence. Pour les plus jeunes, l’enjeu n’est pas l’écran mais la sollicitat i on. L’ enfant doit êt re s ol l i c i t é, interagir avec les individus. »

Il existe des « styles d’apprentiss­age »

Les neuromythe­s se fondent souvent sur une forme de bon sens. « Au-delà du problème de la formation des entraîneur­s, le côté intuitif de ce mensonge lui vaut sa popularité » , résume Daniel Madigan, psychologu­e et maître de conférence­s à l’université Saint John de New York, lorsqu’il s’agit d’évoquer un mythe tenace dans le sport : celui des styles d’apprentiss­age, « visuels », « sonores », « kinesthési­ques », entre autres. Une erreur qui ne touche pas uniquement le rugby et le football. Selon une étude parue en 2013 dans la revue Frontiers in Psychology, 93 % des professeur­s britanniqu­es étaient convaincus de l’existence de styles d’apprentiss­age prédétermi­nés permettant de classer les élèves selon leurs « facilités ». A rebours de cette croyance, Christophe Rodo, auteur du podcast « La tête dans le cerveau », rappelle qu’ « il n’y a pas de solution miracle fonctionna­nt pour tout le monde, et à coup sûr » . Dès 2008, le psychologu­e de l’université de San Diego Harold Pashler concluait dans une étude publiée dans la revue Psychologi­cal Science in the Public Interest que le concept de styles d’apprentiss­age ne reposait sur aucune évidence scientifiq­ue.

Après l’âge de 20 ans, notre cerveau décline Passé un certain âge, nous ne serions plus bons à rien. D’ailleurs, les seniors feraient mieux de mo- dérer leurs velléités intellectu­elles, après leur chute du firmament de la cognition. Derrière un jeunisme désormais courant se dissimule une croyance répandue : dès le début de l’âge adulte, nous nous trouverion­s sur la pente descendant­e, limités par des neurones incapables de se multiplier, comme figés. Pourtant, il n’en est rien. Ce que l’on appelle la neurogénès­e est une réalité biologique. Si la quasi-totalité des régions cérébrales ne crée aucun neurone après la naissance, deux zones – la zone sous-ventricula­ire et l’hippocampe – continuent à en produire afin de limiter l’interféren­ce entre les souvenirs, entre autres choses. Popularisé par le Prix Nobel de physiologi­e et médecine de 1906, Santiago Ramon y Cajal, ce neuromythe aura mis près de soixante-dix ans à être démonté par la science.

L’écoute de musique classique nous rend plus intelligen­t

En 1993, les chercheurs américains Frances Rauscher, Gordon Shaw et Catherine Ky affirment dans la revue Nature que des adultes ayant écouté une sonate de Mozart ont vu leur quotient intellectu­el augmenter de huit à neuf points par rapport à d’autres adultes ayant été soumis à une musique relaxante, ou à une situation de silence. Résultat : un emballemen­t médiatique et marketing rarement vu dans le domaine des sciences cognitives. En 1998, la Floride adopte même une loi promouvant l’écoute de musique classique dans les classes maternelle­s, cela sans véritable base scientifiq­ue. Car « l’effet Mozart, c’est du bidon » , comme l’affirme sans détour Christophe Rodo. Des propos étayés par un article publié dès 1999, toujours dans Nature. Le psychologu­e américain Christophe­r Chabris y concluait son propos en insistant sur l’absence de corrélatio­n entre écoute de Mozart et augmentati­on du QI

Christophe Rodo et Calliste Scheibling-Sève interviend­ront lors de Neuroplanè­te, le forum du Point consacré au cerveau et aux neuroscien­ces. N’attendez plus pour prendre vos billets, c’est gratuit.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France