Aéroports de Paris poursuivi par un fantôme libyen
Ce jour de mai 2015, les convives déjeunent au Cercle de l’union interalliée, très chic club du 8e arrondissement de Paris, à deux pas de l’Elysée. A la même table, Renaud Girard, grand reporter au Figaro, et deux invités dont il est chargé de concilier les positions : JeanJacques Coppée, un homme d’affaires belge, et Patrick Jeantet, directeur général délégué du groupe public ADP, un des leaders mondiaux de la gestion aéroportuaire. Au menu, entre grands crus et bonne chère, un encombrant dossier de corruption libyenne dans laquelle la branche internationale de l’entreprise, ADP Ingénierie (ADPi), est empêtrée et qui resurgit aujourd’hui comme un boulet en pleine privatisation du groupe…
Les prémices de l’affaire remontent à 2007. A l’époque, les relations entre Nicolas Sarkozy, nouveau président français, et Mouammar Kadhafi sont au beau fixe. De nombreux patrons, encouragés par l’Elysée, se rendent en Libye, dans la foulée de la libération des infirmières bulgares, pour signer des contrats. ADPi en décroche trois. Les deux premiers sont relatifs à la conception de trois aéroports libyens, le dernier – le plus important – concerne le suivi des travaux de celui de Tripoli. Montant total : près de 120 millions d’euros. Les contrats sont signés, mais leur exécution se révèle peu orthodoxe. Sans justification claire, un joint-venture, ADPi Libye, est créé pour l’occasion. Faraj D., un homme d’affaires très discret réputé proche de Saadi Kadhafi, l’un des fils du « Guide », prend 35 % du capital. L’intermédiaire s’assure également, via des baux commerciaux, des contrats de location de voiture et de représentation avec des sociétés libyennes, de belles com- missions estimées à plus de 20 millions d’euros, mais dont l’utilité reste encore à démontrer. « La vraie histoire, c’est celle-ci : 27 briques [millions] d’argent public qui disparaissent ! » assure Renaud Girard.
Mais en 2011, la guerre civile et la destitution du clan Kadhafi contraignent les entreprises françaises à se retirer du marché. ADP se retrouve face à des factures non payées et des frais qui explosent à cause du rapatriement d’urgence des équipes locales. En 2013, l’entreprise fait donc appel à SIDBV, la société de JeanJacques Coppée, dont les solides réseaux locaux doivent aider à débloquer la situation. Coppée propose d’auditer les contrats et d’essayer d’obtenir le paiement des prestations déjà réalisées. La mission est acceptée. Mais les retours sont catastrophiques. Le consultant Coppée pointe du doigt des faits pouvant relever de la corruption, lève le lièvre des commissions de Faraj D. et évoque la né- cessité de faire le ménage dans les équipes d’ADPi Libye.
Le groupe se retrouve face à un dilemme : arrêter les frais ou poursuivre l’activité. Après réflexion, ADP refuse finalement de « couper le bras malade » , selon un ancien haut responsable. « Pour des raisons stratégiques, on ne pouvait pas se débarrasser d’ADPi, qui est le symbole de notre développement et de nos réussites à l’international, poursuit la même source. Mais ce n’était pas dans l’intérêt d’Augustin de Romanet [patron d’ADP depuis 2012, NDLR] d’être complaisant. Il a cherché à nettoyer les écuries d’Augias sans mettre en danger la boîte. Le problème, ce sont les commerciaux foireux. Il est toujours très dur de se défaire des intermédiaires. »
Pour se protéger, ADP dépose, en juillet 2013, une semaine avant que SIDBV ne rende son rapport définitif, une plainte auprès du parquet de Paris. Une enquête préliminaire, bientôt confiée à l’Office
« On tient la position : pas de paiement », peut-on lire dans un mail que nous avons retrouvé.