Migrations : Alger, « gendarme » de l’Europe
En près de trois ans, l’Algérie a expulsé un peu plus de 28 000 migrants subsahariens vers leurs pays d’origine. Reportage.
C’est risqué, mais Jean (1) ne peut pas faire autrement. Huit mois que ça dure, huit longs mois à galérer en attendant que le promoteur immobilier lui paie enfin ses vingt-quatre semaines de travail. Alors, il n’a pas le choix : tous les trois ou quatre jours, Jean doit traverser la moitié d’Alger pour aller demander son salaire à l’indélicat homme d’affaires. En vain. Le trajet est dangereux : « Je dois passer par les routes et les rues où il n’y a pas de contrôles ou de barrages de police » , explique-t-il, interrompant son travail de jardinage trouvé chez un vieux couple algérois qui l’héberge. « Il nous a tous volés, vingt ouvriers, des Ivoiriens comme moi, des Camerounais, des Béninois et même des Marocains, il n’a pas peur de Dieu ou quoi ? » Jean ne montre pas sa colère et avoue son impuissance. Qui, parmi les clandestins africains, oserait porter plainte ou aller juste publiquement se plaindre dans les colonnes d’un journal ? Le promoteur immobilier et son chef de chantier le savent aussi. Alors, en bus et parfois en taxi, Jean remonte vers les beaux quartiers sur les hauteurs d’Alger pour sermonner le riche promoteur qui vient de finir sa énième résidence de haut standing. « En plus de ça, je ne dois pas me faire prendre pour ne pas rentrer au pays les mains vides, sans argent, honteux… On a tous peur des rafles » , confie cet Ivoirien de 39 ans, père de trois filles restées au village sous la protection de la famille.
Les rafles ? En près de trois ans, l’Algérie a expulsé un peu plus de 28 000 migrants subsahariens vers leurs pays d’origine, selon la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme. Les « rapatriements » – pour reprendre la terminologie officielle – sont couverts par des « accords bilatéraux » avec les pays africains concernés. Mais, comme le soulignait un collectif d’ONG algériennes en mai 2018, « il n’existe aucun accord de réadmission, ni de demandes formulées par les gouvernements de ces pays pour d’éventuels retours de leurs ressortissants » . « Seul le Niger a été sollicité dès 2014 dans le cadre d’un accord “opaque’’ avec le gouvernement algérien pour le retour de ses ressortissant(es) dont la majorité sont des femmes et des enfants » , insiste le collectif, qui a lancé une pétition dénonçant ce qui est qualifié d’ « escalade en termes d’expul-