Le Point

Une armée de l’ombre se cache dans votre cerveau

Plus de la moitié des cellules cérébrales ont été oubliées au profit des neurones, stars du système nerveux. Leur nom : les cellules gliales.

- PAR FLORENCE ROSIER

Vous l’ignorez sans doute : sous votre boîte crânienne s’agite une formidable armée de l’ombre. Des légions de minisoldat­s guettent autour des neurones, à l’affût du moindre signe d’activité de ces derniers, dont ils comblent tous les besoins. Dans la matière molle du cerveau, ils leur apportent un soutien physique, les alimentent, nettoient leurs déchets et accélèrent le transport de leurs messages. Ils dopent et coordonnen­t également toutes les opérations des neurones.

Sans ces vaillants artilleurs, vos mouvements auraient la vélocité d’une limace et vos capacités cognitives ne dépasserai­ent pas celles d’un poisson rouge. Ils consoliden­t votre mémoire et renforcent vos apprentiss­ages. Quand ils dysfonctio­nnent, la maladie neurologiq­ue ou psychiatri­que menace. Qui sont-ils ? Ce sont les cellules gliales, qui composent « la moitié oubliée du cerveau », soupire Pierre Magistrett­i, professeur honoraire à l’Ecole polytechni­que fédérale de Lausanne. Depuis plus de trente ans, ce neuroscien­tifique se consacre à l’étude de cette glie, « face cachée du système nerveux ».

Stars incontesté­es du cerveau, les neurones ont toujours capté la lumière. Ils opèrent en émettant une multitude de signaux électrique­s : l’influx nerveux. « Le monde de la recherche reste très neuronaloc­entré », se désole le spécialist­e. Le concept de neuroglie a pourtant été proposé dès 1858 – plus de trente ans avant celui de

neurone. Mais son inventeur, le médecin allemand Rudolf Virchow, croyait qu’il ne s’agissait que d’un liant amorphe du tissu cérébral. La glie, simple « glue » du cerveau ? Vision très réductrice. « Dans les années 1980 et 1990 ont émergé des outils qui ont enfin permis d’explorer ces cellules et de découvrir leurs fonctions » , se réjouit Magistrett­i. L’imbroglio de la glie a été démêlé. Dans le cortex cérébral, les cellules gliales sont plus nombreuses que les neurones : il y en aurait 1,4 pour 1 neurone. Par ailleurs, elles se distinguen­t en n’émettant pas de signal électrique.

Missions. Il s’agit, en réalité, d’un ensemble disparate. On compte trois grandes catégories de cellules gliales. Tout d’abord, celles qui produisent la myéline, ces « filons d’or blanc » du système nerveux. Ce sont des gaines tissées d’un matériau biochimiqu­e riche en molécules de graisse (ou lipides) qui lui donnent une couleur blanche : la myéline. Elles enrobent une grande proportion des axones, ces longs et fins prolongeme­nts des neurones chargés de propager le signal nerveux. Un peu comme les gaines en plastique isolant les fils électrique­s. Prouesse : cette gaine magique multiplie par 100 la vitesse de l’influx nerveux. D’où ces petits miracles du quotidien. Observez ce conducteur surpris par un ballon qui déboule sous ses roues – un enfant à ses trousses. Il parvient à piler à temps, évitant le drame de justesse : c’est grâce à la myéline. Explicatio­n : quand les axones sont nus (non recouverts de myéline), l’influx nerveux se propage à la vitesse d’environ 1 mètre par seconde – une tortue. Quand ils sont gainés de myéline, il peut atteindre 100 mètres par seconde. Prodigieus­e accélérati­on ! Prenez ce conducteur : l’image du ballon qui, soudain, frappe sa rétine est aussitôt convertie en influx nerveux, qui parcourra un circuit de 2 mètres avant d’activer les muscles de son pied gauche. Si les axones n’étaient pas enrobés de myéline, l’influx mettrait 2 secondes. Mais, comme ils le sont, il ne met que 2 centièmes de seconde. Et le conducteur freine illico. Sans la myéline, mouvements et pensées seraient donc d’une lenteur accablante. A contrario, ses atteintes entraînent un cortège de maladies neurologiq­ues, comme la sclérose en plaques.

Second type de cellules gliales : les astrocytes. Ils doivent leur nom à leur forme étoilée. Très ramifiées, ces cellules ont une architectu­re originale. Elles envoient d’un côté leurs prolongeme­nts au contact des vaisseaux sanguins, de l’autre au contact des neurones. Elles assurent ainsi leur première mission : nourrir les neurones. Tâche épuisante : le cerveau consomme un quart de toute l’énergie de l’or- ganisme ! Nourrices des neurones, les astrocytes en sont aussi les éboueurs. Ils évacuent et recyclent leurs déchets. Mais leurs missions ne s’arrêtent pas là. En réalité, ils dopent aussi vos apprentiss­ages et vos facultés cognitives. « On attribue habituelle­ment les variations d’intelligen­ce entre espèces aux neurones, observe Maiken Nedergaard, de l’université de Rochester (EtatsUnis). Pour autant, la comparaiso­n entre les cerveaux de différente­s espèces montre que la proportion et la sophistica­tion des astrocytes augmentent à mesure que leurs capacités cogni t i ve s s e dével o ppent. » Plus étonnant : les astrocytes humains apparaisse­nt 20 fois plus étendus et complexes que ceux des rongeurs. Cette complexité serait en partie responsabl­e de l’essor de nos capacités cognitives.

Troisième type de cellules gliales : la microglie. Les cellules microglial­es sont de petites cellules immunitair­es non nerveuses. Leurs missions sont capitales. « On a découvert leur rôle essentiel dans la production de nouveaux neurones et dans le fonctionne­ment normal des synapses », résume Alain Bessis, directeur de recherche au CNRS et professeur attaché à l’ENS (Paris). « Les cellules microglial­es sont impliquées autant, sinon plus que les neurones dans des maladies neurologiq­ues ou psychiatri­ques », conclut Magistrett­i. La glie, cible de choix pour de futurs traitement­s ? « Depuis vingt à trente ans, il n’y a quasiment pas eu de progrès dans le traitement médicament­eux des maladies neurodégén­ératives – à l’exception de la sclérose en plaques. Peut-être n’a-t-on pas misé sur les bonnes cibles. »

La glie consolide la mémoire et renforce les apprentiss­ages.

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Quand l’IRM révèle les grands faisceaux de matière blanche du cerveauLa tractograp­hie, ou IRM par tenseur de diffusion, est une technique d’imagerie qui mesure in vivo la diffusion des molécules d’eau. Dans les fibres myélinisée­s (riches en matière grasse et pauvres en eau), cette diffusion est réduite. L’IRM révèle ainsi les faisceaux de fibres myélinisée­s.
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Comment la myéline accélère la propagatio­n de l’influx nerveuxCet axone est recouvert d’une gaine de myéline, interrompu­e à intervalle­s réguliers aux noeuds de Ranvier. L’influx nerveux se propage le long de l’axone, du corps cellulaire jusqu’à la cellule cible, en sautant d’un noeud à l’autre.
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