Une armée de l’ombre se cache dans votre cerveau
Plus de la moitié des cellules cérébrales ont été oubliées au profit des neurones, stars du système nerveux. Leur nom : les cellules gliales.
Vous l’ignorez sans doute : sous votre boîte crânienne s’agite une formidable armée de l’ombre. Des légions de minisoldats guettent autour des neurones, à l’affût du moindre signe d’activité de ces derniers, dont ils comblent tous les besoins. Dans la matière molle du cerveau, ils leur apportent un soutien physique, les alimentent, nettoient leurs déchets et accélèrent le transport de leurs messages. Ils dopent et coordonnent également toutes les opérations des neurones.
Sans ces vaillants artilleurs, vos mouvements auraient la vélocité d’une limace et vos capacités cognitives ne dépasseraient pas celles d’un poisson rouge. Ils consolident votre mémoire et renforcent vos apprentissages. Quand ils dysfonctionnent, la maladie neurologique ou psychiatrique menace. Qui sont-ils ? Ce sont les cellules gliales, qui composent « la moitié oubliée du cerveau », soupire Pierre Magistretti, professeur honoraire à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Depuis plus de trente ans, ce neuroscientifique se consacre à l’étude de cette glie, « face cachée du système nerveux ».
Stars incontestées du cerveau, les neurones ont toujours capté la lumière. Ils opèrent en émettant une multitude de signaux électriques : l’influx nerveux. « Le monde de la recherche reste très neuronalocentré », se désole le spécialiste. Le concept de neuroglie a pourtant été proposé dès 1858 – plus de trente ans avant celui de
neurone. Mais son inventeur, le médecin allemand Rudolf Virchow, croyait qu’il ne s’agissait que d’un liant amorphe du tissu cérébral. La glie, simple « glue » du cerveau ? Vision très réductrice. « Dans les années 1980 et 1990 ont émergé des outils qui ont enfin permis d’explorer ces cellules et de découvrir leurs fonctions » , se réjouit Magistretti. L’imbroglio de la glie a été démêlé. Dans le cortex cérébral, les cellules gliales sont plus nombreuses que les neurones : il y en aurait 1,4 pour 1 neurone. Par ailleurs, elles se distinguent en n’émettant pas de signal électrique.
Missions. Il s’agit, en réalité, d’un ensemble disparate. On compte trois grandes catégories de cellules gliales. Tout d’abord, celles qui produisent la myéline, ces « filons d’or blanc » du système nerveux. Ce sont des gaines tissées d’un matériau biochimique riche en molécules de graisse (ou lipides) qui lui donnent une couleur blanche : la myéline. Elles enrobent une grande proportion des axones, ces longs et fins prolongements des neurones chargés de propager le signal nerveux. Un peu comme les gaines en plastique isolant les fils électriques. Prouesse : cette gaine magique multiplie par 100 la vitesse de l’influx nerveux. D’où ces petits miracles du quotidien. Observez ce conducteur surpris par un ballon qui déboule sous ses roues – un enfant à ses trousses. Il parvient à piler à temps, évitant le drame de justesse : c’est grâce à la myéline. Explication : quand les axones sont nus (non recouverts de myéline), l’influx nerveux se propage à la vitesse d’environ 1 mètre par seconde – une tortue. Quand ils sont gainés de myéline, il peut atteindre 100 mètres par seconde. Prodigieuse accélération ! Prenez ce conducteur : l’image du ballon qui, soudain, frappe sa rétine est aussitôt convertie en influx nerveux, qui parcourra un circuit de 2 mètres avant d’activer les muscles de son pied gauche. Si les axones n’étaient pas enrobés de myéline, l’influx mettrait 2 secondes. Mais, comme ils le sont, il ne met que 2 centièmes de seconde. Et le conducteur freine illico. Sans la myéline, mouvements et pensées seraient donc d’une lenteur accablante. A contrario, ses atteintes entraînent un cortège de maladies neurologiques, comme la sclérose en plaques.
Second type de cellules gliales : les astrocytes. Ils doivent leur nom à leur forme étoilée. Très ramifiées, ces cellules ont une architecture originale. Elles envoient d’un côté leurs prolongements au contact des vaisseaux sanguins, de l’autre au contact des neurones. Elles assurent ainsi leur première mission : nourrir les neurones. Tâche épuisante : le cerveau consomme un quart de toute l’énergie de l’or- ganisme ! Nourrices des neurones, les astrocytes en sont aussi les éboueurs. Ils évacuent et recyclent leurs déchets. Mais leurs missions ne s’arrêtent pas là. En réalité, ils dopent aussi vos apprentissages et vos facultés cognitives. « On attribue habituellement les variations d’intelligence entre espèces aux neurones, observe Maiken Nedergaard, de l’université de Rochester (EtatsUnis). Pour autant, la comparaison entre les cerveaux de différentes espèces montre que la proportion et la sophistication des astrocytes augmentent à mesure que leurs capacités cogni t i ve s s e dével o ppent. » Plus étonnant : les astrocytes humains apparaissent 20 fois plus étendus et complexes que ceux des rongeurs. Cette complexité serait en partie responsable de l’essor de nos capacités cognitives.
Troisième type de cellules gliales : la microglie. Les cellules microgliales sont de petites cellules immunitaires non nerveuses. Leurs missions sont capitales. « On a découvert leur rôle essentiel dans la production de nouveaux neurones et dans le fonctionnement normal des synapses », résume Alain Bessis, directeur de recherche au CNRS et professeur attaché à l’ENS (Paris). « Les cellules microgliales sont impliquées autant, sinon plus que les neurones dans des maladies neurologiques ou psychiatriques », conclut Magistretti. La glie, cible de choix pour de futurs traitements ? « Depuis vingt à trente ans, il n’y a quasiment pas eu de progrès dans le traitement médicamenteux des maladies neurodégénératives – à l’exception de la sclérose en plaques. Peut-être n’a-t-on pas misé sur les bonnes cibles. »
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La glie consolide la mémoire et renforce les apprentissages.