Les stagiaires - Ce qui cloche en macronie
Légèreté. Sécurité, économie, projets de réformes… Ce qui cloche en macronie.
Si le président de la République a maintenu son rendez-vous avec l’aréopage consciencieux de soixante érudits ce lundi 18 mars, c’est certainement pour signifier que le violent acte XVIII, embrasant une fois encore les Champs-Elysées, ne méritait pas que l’on renonce à penser notre pays et son avenir. Pas sûr, toutefois, que le message fonctionne, tant la collision frontale des images paraît fatale. D’un côté, la capitale en flammes, des pavés arrachés, une banque brûlée, des blessés, des kiosques à journaux ravagés ; de l’autre, le président s’accordant un week-end de ski sur la poudreuse du domaine de La Mongie. L’articulation est désastreuse, même si ceux qui vilipendent la parenthèse privée décrivaient, voilà peu, un chef de l’Etat exsangue, irascible, épuisé. « Depuis début décembre, il est au contact, sur le terrain. Qu’il soit à La Mongie ou à l’Elysée, ça change quoi ? Il est tenu au courant heure par heure de la situation ! Vous voulez quoi ? Qu’il fasse un burn-out ? Un AVC ? » tempête ainsi François Patriat, le patron des sénateurs de la majorité. Près de deux ans après son arrivée au pouvoir, l’escapade – écourtée – d’Emmanuel Macron n’a rien de condamnable, mais elle interroge sur sa capacité à tirer les leçons de son expérience. En termes d’image, mais surtout dans la connaissance de ses équipes… et de leurs limites : « Si l’ordre public avait été maîtrisé, aurait-on parlé de Macron au ski ? rétorque un membre de son premier cercle. S’il a été contraint de revenir, c’est que la maison n’a pas été tenue en son absence, qu’il n’a été protégé ni par son ministre de l’Intérieur ni par son Premier ministre. » Aux termes d’un grand débat national globalement positif pour l’exécutif, ce weekend de dysfonctionnements témoigne d’un pouvoir peu expérimenté, fragile, insuffisamment professionnel. L’Etat serait-il aux mains de stagiaires ?
Doutes. S’il en est un qui n’a pas encore validé ses acquis, c’est bien Christophe Castaner. Ses péripéties nocturnes prêteraient à sourire si elles n’électrisaient pas les « boucles » Whatsapp des députés LREM et de certains barons macronistes : « Je vis mal l’épisode Casta, admet un pilier de la majorité. Pour lui, parce que son image est écornée pour longtemps ; et pour nous, parce que ça nous retombera dessus. Soyons clairs : à sa place, n’importe quel autre ministre aurait sauté. » Les doutes qui pesaient sur « le premier flic de France » avant sa nomination ont désormais gagné une large partie de la majorité et du gouvernement. Depuis décembre, c’est la même chanson : chaque acte des gilets jaunes débouche sur « la tournée de Casta ». L’expression est soufflée par un ministre de premier plan franchement agacé: « A 15 heures, Paris est à feu et à sang. A 18 heures, il vous fait un petit duplex sur BFM. En fin de journée, c’est l’heure du point presse avec le Premier ministre. Vers 20 heures, pour le JT, il faut aller serrer la main des forces de l’ordre et leur apporter du soutien, sans oublier d’en faire un petit tweet. A 22 heures, il faut un autre tweet pour redire sa fermeté contre les casseurs. Entre minuit et 2 heures, on s’autorise un petit tour en boîte de nuit. Le dimanche et le lundi, on refait une tournée des médias pour dire “ça suffit” et dire qu’il faut faire ci et ça. Et rebelote la semaine suivante. » Piquant.
Sa propension à faire de la communication exaspère jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. L’ex-porteparole du gouvernement est devenu un commentateur de sa propre actualité. Au lendemain du premier samedi de casse à Paris, le 1er décembre, il constate : « Il faut avoir des moyens différents
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« Soyons clairs : à sa place, n’importe quel autre ministre aurait sauté. » Un pilier de la majorité, à propos de Christophe Castaner
pour le renseignement et le maintien de l’ordre. On a des doctrines qui ne sont plus adaptées à la réalité des violences dont on fait l’objet. » Quinze jours après, le 17, il assène : « Ça suffit ! Ça suffit pour la sécurité des gilets jaunes eux-mêmes, ça suffit pour la sécurité de nos concitoyens, ça suffit aussi pour la sécurité de nos forces de l’ordre. » Le 7 janvier, il promet : « A l’ultraviolence, nous opposerons l’ultrafermeté. » Un mois et demi plus tard, il tempête : « Demain, ils [les policiers, NDLR] seront dans leur commissariat pour enregistrer la plainte d’une femme agressée ou sur le terrain pour porter secours à un commerçant braqué. Leur quotidien : nous protéger. Notre devoir : ne rien laisser passer. STOP ! » Au milieu de tout ça, cette drôle de séquence filmée dans laquelle on le voit, au volant de sa voiture, répondre à BFMTV. Montrer que l’on tient encore les commandes, à l’heure où tout le monde en doute… « Casta ferait un bon ministre de l’Intérieur si tout allait bien. Seulement ça n’arrive jamais, commente un collaborateur ministériel. Macron aurait mieux fait de ne pas écouter Bayrou, qui lui conseillait de mettre un proche pour garder la main sur Beauvau. » Un fin connaisseur du ministère résume : « Macron n’a pas appris à déléguer. Il est persuadé que, si tu lui laisses trois heures pour repenser l’Intérieur, il le ferait mieux que Castaner. C’est une forme d’amateurisme mêlé d’un péché d’orgueil. Conséquence : alors que la hiérarchie policière est secouée et que le maintien de l’ordre peine à être repensé, Nuñez et Castaner ont attendu que leur chef leur dise quoi penser. »
Malgré l’« avoinée » passée par le président de la République à son fidèle sudiste, une fois les flammes du Fouquet’s étouffées, Castaner restera bien en place. Cette fois, c’est le préfet de Paris, Michel Delpuech, qui a fait office de fusible. « Un coup pour rien, il était de toute façon condamné depuis qu’il a chargé l’Elysée dans l’affaire Benalla », assure la même source. Désormais, pour le ministre, chaque samedi sera une évaluation, chaque brasier dans Paris un risque d’éviction. « Castaner est en période probatoire », confirme l’un de ses collègues. Il est donc grand temps d’accélérer la formation.
Flottement. La sienne, et celle de plusieurs membres du gouvernement. Il n’est pas question ici de fustiger la société civile ou au contraire de louer les vertus de carrières politiques à rallonge : en macronie, pas de jaloux ! Comment l’expérimentée Jacqueline Gourault, sénatrice depuis 2001, peutelle se laisser aller à évoquer son envie d’un impôt sur le revenu universel alors que le sujet fiscal échauffe le pays ? Que dire d’Agnès Buzyn, qui propose, la semaine de fin du grand débat, d’un coup d’un seul d’allonger la durée au travail dans le cadre de la réforme générale des retraites ? Le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, ne fait-il pas preuve, lui aussi, d’un manque d’investisse-
« Macron n’a pas appris à déléguer. C’est une forme d’amateurisme mêlé d’un péché d’orgueil. » Un connaisseur du ministère de l’Intérieur
ment en communiquant grossièrement sur ses envies de Paris ?
Ces trois derniers mois paradoxaux donnent autant le sentiment d’une profusion d’idées que d’un flottement dans la conduite des affaires de l’Etat. « C’est la règle du jeu du grand débat : une séquence d’écoute, les annonces suivront, il faut respecter chaque moment», assure Marlène Schiappa.
Les manifestations qui ponctuent chaque semaine n’arrangent en rien les difficultés du chef de l’Etat à aborder les questions régaliennes, sur lesquelles il avance à pas plus que feutrés. En janvier, sa majorité, soudainement enfiévrée par la montée des violences, décide de voter une « loi anticasseurs» élaborée de toutes pièces par la droite et jugée « liberticide » par la gauche. Il y a dix jours, Emmanuel Macron, semblant réaliser la dureté du texte, saisit le Conseil constitutionnel. La loi est en suspens. Quelle surprise alors d’entendre le Premier ministre, le 18 mars, regretter de n’avoir pas pu compter sur cette loi qui « nous aurait considérablement aidés». Et d’annoncer dans la foulée « le renforcement des contrôles aux abords des manifestations, l’ interdiction de manifester pour les personnes les plus violentes »… Des décisions précipitées que l’écrivain, défenseur des libertés et contempteur du texte François Sureau accueille avec effarement : « Autant je suis fermement opposé à la sélection individuelle des manifestants par les agents de l’Etat qui me semble attenter à la liberté de manifester, autant je ne vois pas d’obstacle à ce que le gouvernement fasse usage, sous le contrôle du juge, de ses pouvoirs d’interdire une manifestation, ici ou là, à raison de risques avérés de troubles à l’ordre public. Cette faculté lui est reconnue depuis longtemps. Il n’est pas utile de changer les lois à chaque événement nouveau. Pour le reste, les réponses sont tardives, superficielles, elles consistent toujours plus ou moins à casser, ou à cacher, le thermomètre. A cet égard, les propos du Premier ministre sur la poursuite des personnalités qui “encouragent” ou “glorifient la violence”, inquiètent par leur caractère vague et par les menaces qu’ils font peser sur la liberté d’expression. » Edouard Philippe : recalé.
Au chapitre des dossiers régaliens reportés sine die, celui de l’organisation de l’islam en France. En février 2018, dans le JDD, le chef de l’Etat annonce vouloir « poser les jalons de toute l’organisation de l’islam en France » dans les dix mois qui suivent. Début septembre, devant ses ministres réunis en séminaire, il renvoie l’affaire à janvier 2019. En janvier justement, il convie les représentants des cultes à l’Elysée pour leur soumettre ses axes de réforme – « renforcer la transparence du financement des cultes ; garantir le respect de l’ordre public en luttant contre les propos haineux et les troubles graves ; consolider la gouvernance des associations cultuelles et responsabiliser leurs dirigeants » – en prévoyant la modification de la loi de 1905. Jusqu’à ce débat avec les intellectuels, au cours duquel il affirme : « Je ne souhaite pas qu’on change la loi de 1905. » Circulez !
Bien sûr, l’exécutif a beau jeu de mettre en avant les réformes économiques qu’il continue à faire avancer, comme celle de la fonction publique, dévoilée mi-février par le secrétaire d’Etat Olivier Dussopt. Elle devrait être présentée en conseil des ministres le 27 mars. Préparé de longue date, ce texte facilite la réduction des
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effectifs et assouplit le recours ■ aux contractuels. Parmi les dossiers qui progressent figure également la réforme de l’assurance chômage. Stratégiquement repoussée à l’été 2018, pour mettre les partenaires sociaux face à leurs responsabilités, elle a été reprise en main par le ministère du Travail après l’échec des organisations patronales et syndicales à s’entendre sur les mesures à prendre. Les annonces devraient intervenir en juin, avant la publication d’un décret à l’été. L’idée d’éviter que certains chômeurs gagnent plus lorsqu’ils sont indemnisés pourrait en effet plaire à certains gilets jaunes, tout comme la probable baisse du généreux plafond d’indemnisation des cadres. Cette réforme est aussi nécessaire sur le plan budgétaire, dans un contexte où il faut délier les cordons de la bourse pour tenter de calmer la colère des gilets jaunes puisqu’elle doit rapporter au minimum 1 milliard d’euros d’économies par an pendant trois ans et 500 millions d’euros dès 2019. A écouter le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, il n’y a pas lieu de douter de la volonté transformatrice du gouvernement : « Entre la loi Pacte, la taxation des géants du numérique, la réforme de la zone euro, à Bercy, ça tourne à plein régime », confirme-t-il.
Chantiers interrompus. Reste que d’autres chantiers sont comme suspendus dans l’attente des conclusions sur le grand débat. La transformation du système de retraites, par exemple, dont le calendrier de consultation des syndicats a été allongé jusqu’à mai. Une source proche du dossier avoue qu’un report du vote en 2020 est désormais envisagé, à cause de l’ engorgement du calendrier parlementaire.L’ agenda initial pré voyait l’adoption du régime universel en… 2018.
Dans la liste des chantiers prudemment interrompus, on trouve encore la réforme de la fiscalité locale, destinée à remplacer les recettes de la taxe d’habitation, qui sera finalement entièrement supprimée, sauf pour les propriétaires de résidences secondaires. Le grand débat n’aide pas non plus à la préparation du budget 2020, alors que Bercy tentait d’identifier, en février, les « économies structurelles » possibles à retenir d’ici à 2022. Au contraire, des dépenses publiques supplémentaires pourraient être annoncées. Concernant une possible réforme fiscale, c’est le grand flou. Il va pourtant bien falloir trouver un moyen de répondre aux attentes exprimées pendant les deux mois de consultation des Français. Montrer le « cap », n’était-ce pas la promesse originelle du candidat Macron ?
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