Le Point

Didier Deschamps, les yeux dans le Bleu

Pour Le Point, l’entraîneur a quitté ses schémas tactiques et évoqué les vestiaires de la finale, Emmanuel Macron, les jeunes, les gilets jaunes…

- PROPOS RECUEILLIS PAR SÉBASTIEN LE FOL ET FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN

Le langage du corps ne trompe pas. Affable, souriant, presque tactile, Didier Deschamps a le contact facile, le regard franc. Prompt à la blague ou à la petite phrase, il fait référence au général de Gaulle quand nous évoquons dans l’ascenseur du Métropole de Monaco un sport phagocyté par les statistiqu­es. «Les statistiqu­es, disait le Général, c’est comme la minijupe, cela donne des idées, mais cela cache l’essentiel.» Voilà pour le Deschamps détendu, qui « joue à domicile », à quelques kilomètres de sa maison du Cap-d’Ail, acquise du temps où il entraînait l’AS Monaco. Mais, pour répondre à nos questions, il croise les bras. Ouverture. Fermeture. Il est vrai que l’exercice, face à un magazine français, est pour lui nouveau, exceptionn­el. Moins à l’étranger, où près de 400 médias l’ont réclamé depuis la victoire du 15 juillet 2018. Au cours de l’entretien, les bras parfois s’agitent. La vue sur la grande bleue, qui ce jour-là n’a pas usurpé son surnom, y invite. A quelques jours du début des éliminatoi­res de l’Euro, le ciel semble dégagé pour celui qui a mené les Bleus sur le toit du monde. Entretien

Le Point: On garde plusieurs souvenirs du 15 juillet 2018, mais le plus insolite, ce sont ces trombes d’eau qui s’abattent sur vous lors de la cérémonie, les joueurs, Macron, Poutine…

Didier Deschamps:

Ah bon, je ne m’en souviens pas. C’était la pluie moscovite, elle ne mouillait pas, elle n’était ni chaude ni froide. En revanche, je me rappelle avoir pensé aux Croates. Pour eux, la cérémonie devait être interminab­le. Quand vous avez gagné, le temps ne compte plus.

Vous avez été le seul à qui Poutine a adressé la parole…

Ah bon, je n’en ai pas non plus le souvenir. On pensait à autre chose. Je sais qu’il est venu ensuite nous voir dans les ves- tiaires. Il était content de sa Coupe du monde, qui était une réussite. En termes de sécurité, il s’était donné les moyens, on s’en était rendu compte.

En 1998, pour se donner du courage, Aimé Jacquet lisait chaque soir pendant la Coupe du monde le « De Gaulle » écrit par Max Gallo. Comment viviez-vous les soirées pendant la compétitio­n?

J’ai lu un livre de Tal Ben-Shahar (« Choisir sa vie », Belfond) mais pas la presse. En Russie, j’étais dans ma bulle. J’écoutais de la musique, j’avais mes chaînes sur la télévision de ma chambre. Je regardais aussi des matchs.

Vous aviez appris de lui en 1998?

Sa causerie de la demi-finale France-Croatie m’avait marqué. J’ai emmagasiné des connaissan­ces à son contact, comme avec d’autres, mais ce ne sont pas des expérience­s auxquelles je fais référence avec mes joueurs. Ce n’est pas leur histoire.

Justement, on n’a rien su de votre causerie pendant la finale en 2018. Que leur avez-vous dit dans les vestiaires après quarante-cinq minutes et ce 2-1 très heureux? Vous étiez content?

Content, oui, du résultat, mais pas de la manière, on ne faisait pas la finale qu’on voulait faire. On n’était pas relâchés, on avait le frein à main, alors que les Croates étaient libérés, détendus. Je leur ai dit d’aller au bout, on est trop dans l’entredeux, on ne fait pas les choses à fond. Psychologi­quement, cette finale est très compliquée. On était endormis, on subissait. Je leur ai dit de jouer vraiment le match.

Après 1998, l’euphorie avait duré longtemps.

Là, elle a été beaucoup plus courte.

Elle ne vous a pas agacé, cette polémique qui débute aussitôt, le bus qui descend trop vite les Champs, puis l’affaire Benalla, où l’on apprend qu’Alexandre Benalla était dans le bus? Le triomphe ne vous a pas échappé?

Non, mais on ne maîtrise pas. Aujourd’hui, on est soumis à des règles de sécurité qui n’existaient pas en 1998. Evidemment, on avait envie de prolonger ces moments de bonheur et de les partager avec les Français.

Vous sentiez que cela allait trop vite?

Tout allait trop vite à ce moment-là. Certaineme­nt qu’il y a eu trop de mauvaises informatio­ns. On nous attendait sur le balcon d’un grand hôtel parisien alors que ce n’était pas prévu. C’est le monde d’aujourd’hui. Nous avons dû composer avec des impondérab­les liés au protocole.

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