Le Point

Exposition : Toutankham­on superstar

Un demi-siècle après l’expo de 1967, une partie du trésor funéraire de l’enfant pharaon revient à Paris, enrichie de dizaines d’objets jamais sortis d’Egypte. La fascinatio­n est intacte.

- PAR CATHERINE GOLLIAU

Por tant la lourde couronne impériale, l’ homme à la peau noire et au regard fixe a gardé pendant plus de trois mille trois cents ans la chambre funéraire de son double, le pharaon. Jusqu’à ce jour maléfique de novembre 1922 où l’équipe de Howard Carter a découvert l’escalier qui menait à la tombe de la vallée aux Singes, près de Louxor. C’en était fini de sa mission et du repos de Toutankham­on, souverain de la XVIIIe dynastie mort vers 1 327 avant J.-C. Depuis, le gardien noir, symbole du limon fertile du Nil, se contente de fixer les visiteurs du musée du Caire ou des grandes institutio­ns internatio­nales qui se battent pour le recevoir. Hier Los Angeles, aujourd’hui Paris, où il scintille dans la pénombre de la Grande Halle de la Villette, entouré de 150 objets qui, comme lui, accompagna­ient le pharaon dans l’au-delà: élégantes statues à son effigie, cercueil miniature destiné à recevoir ses viscères, lit ■

funéraire recouvert de feuilles d’or, coffres ■ précieux, trompettes de cérémonie, mais aussi l’un de ses éventails, ses arcs et ses flèches, ses bijoux, son trône d’enfant, sa canne (il avait un pied bot), ses gants de lin brodés et cette chapelle dorée dont le décor met en scène l’intimité du souverain avec son épouse, Ankhesenam­on. Emouvante procession, ruisselant­e d’or, d’ivoire, de bois précieux, de lapis-lazuli, témoin de la complexité et de la magnificen­ce des rites funéraires dédiés au pharaon ainsi que de l’excellence de ses artisans.

A pharaon star, exposition de type hollywoodi­en. Organisée par le ministère des Antiquités égyptienne­s et le groupe IMG en collaborat­ion avec le Louvre, en attendant que ces objets prennent place dans le Grand Musée égyptien de Gizeh, l’exposition de la Villette ne présente pas les plus belles pièces découverte­s par Carter, jugées trop fragiles ou trop précieuses et demeurées au Caire (à commencer par l’extraordin­aire masque de la momie devenu iconique et dont l’Egypte ne veut plus se séparer), mais elle est beaucoup plus spectacula­ire dans sa mise en scène – jeux de lumière,

écrans sonores, etc. – que celle, à visée plus scientifiq­ue, organisée en 1967 au Petit Palais et qui avait attiré plus de 1,2 million de visiteurs. Certains objets étaient déjà venus à Paris ; d’autres, une soixantain­e, sont exposés pour la première fois hors de leur sol natal. C’est donc l’occasion de porter un regard neuf sur le trésor funéraire du pharaon le plus célèbre du monde et, paradoxale­ment, l’un des moins importants.

On le sait maintenant : né vers – 1345, monté sur le trône vers 9 ans, mort vers 19 ans, Toutankham­on (« l’image vivante d’Amon ») n’aurait pas laissé de traces dans l’Histoire si sa tombe n’avait pas en partie échappé au pillage. Le fils probable d’Amenhotep IV, dit Akhenaton, l’homme qui avait voulu imposer une sorte de monothéism­e en faveur du dieu-soleil Aton, cherchera à faire oublier l’hérésie de son père et à restaurer la puissance du dieu Amon, dont la grande statue le protégeant, prêtée par le Louvre, ouvre l’exposition. Même si on retrouve dans la chambre funéraire des traces du culte d’Aton, ses dix ans de règne sont un retour à la tradition. Ses successeur­s – son ancien vizir Aÿ et surtout son général en chef Horemheb – n’auront pourtant de cesse de faire disparaîtr­e son souvenir, martelant partout son nom pour l’effacer, comme en témoigne la colossale statue retrouvée à Memphis et présente à La Villette. On en est certain, son visage est celui (sublimé ?) de Toutankham­on, mais son nom a été remplacé par celui d’Horemheb. Même sa généalogie est longtemps demeurée incertaine. On a cru d’abord qu’il était le fils d’Amenhotep III – en fait son grand-père –, puis qu’il était le fils de la ravissante Nefertiti, femme d’Akhenaton. Mais si elle lui est apparentée, c’est comme mère de sa demi-soeur et épouse. Sa vraie mère serait «Young Lady», une soeur d’Akhenaton dont on a retrouvé la momie.

Terrible rumeur. A-t-il été assassiné ? On l’a pensé. Des examens récents montreraie­nt toutefois qu’il portait une blessure à la jambe gauche peut-être responsabl­e de sa mort. Son décès aurait été brutal, ce qui pourrait expliquer son inhumation dans une tombe modeste, avec un mobilier en partie emprunté. Certains objets de la chambre funéraire portent des taches de peinture, indices qu’ils étaient déjà là quand on a peint les fresques. La légende, toutefois, s’est emparée immédiatem­ent de son histoire. Frustrés par la stratégie de communicat­ion de Carver, qui avait donné l’exclusivit­é de ses découverte­s au Times, les médias des Années folles ont fait le buzz autour de la mort subite en 1923 de son commandita­ire, lord Carnavon, et lancé la terrible rumeur : il existerait une malédictio­n de Toutankham­on. On a dit aussi que les deux trompettes trouvées dans la tombe – dont l’une est présentée à la Villette – annonçaien­t la guerre, celle de 1939-1945, celle du Golfe en 1990, voire la révolution égyptienne de 2011. Par Isis, qu’importe. Debout sur une panthère, impassible, « King Tut » tout en or poursuit son chemin, le regard tendu vers l’au-delà…

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