Cinéma : Sir Michael Caine nous reçoit
La légende du cinéma britannique, 86 ans, étincelle dans « Gentlemen cambrioleurs » et publie ses Mémoires. Rencontre chez lui, à Londres.
On imaginait un palace, ou du moins un appartement luxueux, le genre d’étalage de fortune qu’une star de son calibre peut se permettre. Mais non. Si Michael Caine ne nous avait pas luimême ouvert la porte, on se serait demandé s’il habitait réellement là. A l’extérieur comme à l’intérieur, rien d’extraordinaire. Enfin, si : tout le monde n’a pas une photo avec Roger Moore ou avec la reine d’Angleterre sur son étagère ! Reste qu’on aurait aimé apercevoir l’un de ses deux oscars et quelques preuves supplémentaires du caractère exceptionnel de l’homme qui se tient devant nous. «Ce n’est que notre pied-àterre londonien, sourit-il amusé. La plupart du temps, nous habitons à la campagne. » Veste en cuir, chemise en jean, Apple Watch au poignet, Michael Caine semble bien décidé à rester dans le coup. Et y parvient indéniablement : montrez sa photo à n’importe quel ado, il reconnaîtra le majordome de « Batman » ou l’agent secret de « Kingsman ». Après soixante-trois ans de cinéma et des rôles aussi mémorables qu’Alfie ou Harry Palmer, l’acteur arrive encore à nous surprendre. Dans « Gentlemen cambrioleurs », il campe un papy braqueur invétéré, à l’origine du vol de diamants le plus important de l’Histoire. « Le tournage avait lieu à Londres avec une bande de vieux amis [Michael Gambon, Jim Broadbent, Tom Courtaney…], alors pourquoi se priver?» S’il y a bien une chose que Michael Caine a apprise au cours de sa persistante carrière, c’est à ne jamais laisser filer une occasion. Il l’expose avec beaucoup d’humour et d’anecdotes dans sa dernière biographie, « Et que les barrières sautent ! », qui vient d’être traduite en France (Baker Street) et dont Le Point dévoile de savoureux extraits en avant-première.
Le Point: Vous voilà, à 86 ans, toujours en train de tourner des films !
Michael Caine: J’ai souvent entendu les gens dire qu’ils étaient impatients de prendre leur retraite. Moi, j’espère ne jamais m’arrêter de travailler ! J’ai essayé la retraite, une fois. Un jour, j’ai reçu un scénario que j’ai renvoyé parce que le rôle était trop petit. Le producteur m’a répondu: «En fait, on ne pensait pas à vous pour le rôle de l’amant mais pour celui du père. » J’ai cru que ma carrière était finie. Alors, j’ai pris ma retraite, je me suis installé à Miami, où j’ai ouvert un restaurant. Jack Ni chols on habitait là et nous sommes devenus très proches. Il m’a proposé un film, « Blood and Wine ». C’est comme ça que je suis revenu dans le jeu. Et depuis, je ne me suis plus arrêté ! Je ne peux pas prendre ma retraite parce qu’il faut que je me maintienne en vie.
Un peu comme les héros de votre dernier film, «Gentlemen cambrioleurs», des malfrats retraités qui décident de se remettre au braquage pour se sentir vivants et jeunes.
Vous savez, on ne se sent jamais vieux. Je ne me sens pas différent de quand j’avais 20 ans… enfin, sauf quand je me mets à courir ou à monter les escaliers ! [Rires] Ce qui est amusant, c’est que, dans la vraie vie, le personnage que j’incarne est un cockney [un Londonien issu des classes populaires, NDLR]. Le scénariste est allé en prison pour essayer de le voir et il a rencontré sa fille. Elle lui a demandé : « Qui joue mon père ? » Quand il a répondu « Michael Caine », elle a dit : « Il est bien trop ordinaire. » Ce gars est un cockney, comme moi, mais sa fille, qui habite dans les quartiers chics de Londres, l’a oublié.
Nous l’avons peut-être oublié, nous aussi, que vous êtes un gars des faubourgs mal famés.
A nos yeux, vous êtes sir Michael Caine, l’incarnation de l’élégance britannique!
C’est vrai que je suis très éloigné de l’image qu’on a de moi. Je viens d’une famille de la classe ouvrière, mon père travaillait sur un marché aux poissons, ma mère était femme de ménage. Mais quand je suis devenu acteur, j’ai décidé que je serais capable de jouer n’importe qui. Les Anglais ont essayé de me réduire au rôle du cockney, « drôle, dur à cuire et pas très malin ». Je m’y suis opposé parce que même si je suis drôle et dur à cuire, je suis malin aussi [Rires].
Et c’est ainsi que vous êtes devenu une icône.
Je dirais plus simplement que j’ai fait un petite différence pour la classe ouvrière de ce pays. Les acteurs de ma génération, Sean Connery, Peter O’Toole, Richard Burton… ont été les premiers Britanniques issus de la classe ouvrière à devenir des stars internationales. Il y avait un vrai système de classe dans le cinéma anglais. C’est pour ça qu’on se nourrissait du cinéma américain. Par exemple, les films de guerre anglais parlaient d’officiers alors que ceux des Américains parlaient de simples soldats. Mais Sean, Peter et moi, en devenant des stars, on a ouvert des portes. Il y a toujours un système de classes au Royaume-Uni, mais il n’est plus important parce que tout le monde s’en fiche. On peut venir de la classe populaire, être un génie de l’informatique et devenir riche et célèbre. Tout est différent aujourd’hui, tout va tellement plus vite. Je n’aurais pas réussi à écrire ce livre sans mon ordinateur, je n’aurais pas pu me rappeler tous les détails de ma vie. Je n’ai pas arrêté de taper « Michael Caine » dans Google [Rires] !
Au début de votre carrière, vous aviez l’image d’un grand séducteur...
Oui, à cause du film « Alfie, le dragueur » qui m’a fait connaître. Mais la vérité, c’est que j’ai toujours détesté jouer les scènes d’amour. Il n’y a rien de plus difficile : vous rencontrez quelqu’un pour la première fois et deux heures plus tard vous êtes tout nu dans un lit avec cette personne ! Quand je faisais une scène d’amour, je me sentais toujours gêné pour la fille, et tenter de dissimuler cette gêne était complexe. Bon, apparemment j’y suis arrivé quand même.
Quelle est la plus belle rencontre que vous ayez faite grâce au cinéma?
J’ai dîné avec la reine ! [Rires]. La célébrité, c’est ■ comme un club : les membres de celui-ci se font confiance instinctivement parce qu’ils savent que vous ne cherchez pas à profiter de leur célébrité. Donc, quand on est célèbre, on rencontre tous les gens célèbres dans le monde.
Dans votre livre, vous expliquez avoir fait certains films pour l’argent. La plupart des acteurs n’aiment pas parler de leurs mauvais films et encore moins d’argent!
Comme je l’ai dit, j’ai été très pauvre et ma famille aussi. Il fallait que j’achète une maison pour ma mère, donc j’ai fait un film et j’ai acheté une maison pour ma mère. J’en ai fait un autre et j’ai acheté une maison pour ma fille. Tout le monde travaille pour gagner sa vie, pourquoi devrais-je m’en cacher ?
Pour quel film vous arrête-t-on le plus souvent dans la rue?
« Batman ». L’autre jour je me promenais à Piccadilly et il y avait un groupe d’écolières japonaises d’environ 12-13 ans. Elles se sont toutes mises à crier : « Alfled, Alfled » ! Elles connaissaient toutes Alfred, le majordome de « Batman ». Grâce à la popularité des films de Christopher Nolan, mon visage reste connu dans le monde entier aujourd’hui encore. Je considère Nolan comme l’un des meilleurs réalisateurs du monde, un nouveau David Lean.
Et qui sera le nouveau Michael Caine?
Oh… je n’y ai jamais réfléchi. [Il fait une longue pause]. Il y a énormément de jeunes acteurs merveilleux, mais ils ne viennent pas du même milieu que moi. Et puis, beaucoup ont grandi à la télévision si bien que, souvent, on ne comprend pas ce qu’ils disent parce qu’ils n’articulent pas. Quand on a commencé dans le théâtre, comme moi, on s’est entraîné à projeter sa voix. Eux parlent dans leur barbe [Rires]. J’ai regardé les oscars cette année, et ça m’a laissé pensif. Avant, les oscars, c’était Cary Grant, Marlon Brando, Jack Nicholson, des vraies stars ! Aujourd’hui, on voit des gens gagner des oscars et on ne sait même pas qui c’est...
Vous affirmez n’avoir aucun regret, mais tout le monde n’en a-t-il pas au moins un?
La raison pour laquelle je n’en ai vraiment aucun, c’est que j’ai beaucoup appris des erreurs que j’ai faites. J’aurais dû regretter d’avoir fait la guerre en Corée, j’aurais pu mourir et ce fut une expérience très éprouvante. Mais c’est aussi ce qui m’a permis de devenir un homme. Quand je suis arrivé à Hollywood, on m’a proposé un film avec Henry Fonda, Olivia de Havilland et plein de stars hollywoodiennes. J’ai à peine lu le scénario, je me suis dit : « C’est génial, il faut que j’en sois. » Ça s’appelle « L’inévitable catastrophe » et c’est le film le plus catastrophique que j’aie jamais fait ! Mais c’était bien quand même parce que j’en ai profité pour observer toutes les techniques de jeu de ces acteurs expérimentés. Je pense qu’il n’y a jamais rien de négatif à 100 %, tout a toujours un côté positif. Je me suis cassé la cheville : j’ai écrit cette biographie.
Y a-t-il encore des personnes avec qui vous rêvez de travailler?
Plus maintenant, ils sont tous morts ! [Il éclate de rire]. C’est ce qui arrive quand on a 86 ans, tout le monde meurt comme des mouches autour de soi.
S’il fallait ne retenir qu’un seul film avec vous…
Ce serait « Le plus escroc des deux ». Parce que j’ai réussi à vous faire rire et c’est la chose la plus difficile à faire. Je pourrais vous faire pleurer assez facilement mais vous faire rire, c’est vraiment dur. Avec ce film, on a fait rire tout le monde
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« Avant, les oscars, c’était Cary Grant, Marlon Brando, Jack Nicholson, des vraies stars ! Aujourd’hui, on voit des gens gagner des oscars et on ne sait même pas qui c’est... » Michael Caine