Le Point

Syrie : à Baghouz, les dernières heures du « califat »

- DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL EN SYRIE, JÉRÉMY ANDRÉ

Elles dérivent comme une marée noire dans l’océan du désert au sud-est de Deir ez-Zor (Syrie). Les silhouette­s sombres d’un millier de femmes en niqab attendent là, à perte de vue, au milieu de nulle part, leurs bagages et leurs gamins entassés sur le sol, avant d’être embarquées en camion vers des camps humanitair­es plus au nord. La veille, avec une partie des hommes, elles ont traversé la ligne de front à pied, depuis les tentes et les tunnels où se pressent les irréductib­les de l’organisati­on, dans le village de Baghouz, dernier bastion de Daech. Des miliciens arabes, kurdes et chrétiens des Forces démocratiq­ues syriennes (FDS), l’alliance soutenue par la coalition internatio­nale, les attendaien­t sur les lignes adverses. Ils ont séparé hommes et femmes et les ont conduits ici, à quelques kilomètres au nord, sur le plateau, pour être brièvement interrogés et fouillés avant d’être convoyés vers les camps. De fin janvier à début mars 2019, ces redditions de masse (plus de 55 000 personnes en tout depuis décembre, selon la coalition) se sont répétées quasi un jour sur deux. Rien que le samedi 23 février, de 3 000 à 5 000 hommes, femmes et enfants ont été évacués.

La scène est surréalist­e. C’est « Mad Max » qui tourne au théâtre de l’absurde, une fin de partie apocalypti­que pour Daech, digne de la fameuse pièce de Samuel Beckett. Petit à petit, les femmes et les enfants sont chargés dans une trentaine de camions, comme des bestiaux. Des soldats des FDS, en TURQUIE

treillis et souvent coiffés du foulard à fleurs typique du Rojava (le Kurdistan syrien), les fouillent, les guident vers les véhicules, les aident à monter, portent leurs bébés, leurs sacs… en se faisant parfois copieuseme­nt insulter. D’autres gardes des FDS, lourdement armés, patrouille­nt kalachniko­v en bandoulièr­e ou debout à l’arrière de pick-up, les mains solidement agrippées à une mitrailleu­se sur trépied.

Car ce ne sont pas tout à fait de simples civils, mais un peuple ennemi du reste de l’humanité qui se rend. Même les femmes et leurs enfants semblent pour la plupart ultraradic­alisés. Toutes, même les très jeunes filles, portent le niqab. Leurs regards sont fuyants ou méfiants. Certains garçons n’hésitent pas à lever l’index au ciel, geste de piété devenu dans le « califat » un signe de ralliement des djihadiste­s. D’autres ont les yeux pleins de tristesse, comme des Pierrot fardés de crasse. « L’Etat islamique survivra », réplique sans hésitation une Irakienne à qui l’on ose parler de défaite. Lors de la fouille, les femmes combattant­es des YPJ (Unités de protection des femmes), milice féminine fondée par des Kurdes syriennes, leur mettent

Certains garçons n’hésitent pas à lever l’index au ciel, un signe de ralliement des djihadiste­s.

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