Syrie : à Baghouz, les dernières heures du « califat »
Elles dérivent comme une marée noire dans l’océan du désert au sud-est de Deir ez-Zor (Syrie). Les silhouettes sombres d’un millier de femmes en niqab attendent là, à perte de vue, au milieu de nulle part, leurs bagages et leurs gamins entassés sur le sol, avant d’être embarquées en camion vers des camps humanitaires plus au nord. La veille, avec une partie des hommes, elles ont traversé la ligne de front à pied, depuis les tentes et les tunnels où se pressent les irréductibles de l’organisation, dans le village de Baghouz, dernier bastion de Daech. Des miliciens arabes, kurdes et chrétiens des Forces démocratiques syriennes (FDS), l’alliance soutenue par la coalition internationale, les attendaient sur les lignes adverses. Ils ont séparé hommes et femmes et les ont conduits ici, à quelques kilomètres au nord, sur le plateau, pour être brièvement interrogés et fouillés avant d’être convoyés vers les camps. De fin janvier à début mars 2019, ces redditions de masse (plus de 55 000 personnes en tout depuis décembre, selon la coalition) se sont répétées quasi un jour sur deux. Rien que le samedi 23 février, de 3 000 à 5 000 hommes, femmes et enfants ont été évacués.
La scène est surréaliste. C’est « Mad Max » qui tourne au théâtre de l’absurde, une fin de partie apocalyptique pour Daech, digne de la fameuse pièce de Samuel Beckett. Petit à petit, les femmes et les enfants sont chargés dans une trentaine de camions, comme des bestiaux. Des soldats des FDS, en TURQUIE
treillis et souvent coiffés du foulard à fleurs typique du Rojava (le Kurdistan syrien), les fouillent, les guident vers les véhicules, les aident à monter, portent leurs bébés, leurs sacs… en se faisant parfois copieusement insulter. D’autres gardes des FDS, lourdement armés, patrouillent kalachnikov en bandoulière ou debout à l’arrière de pick-up, les mains solidement agrippées à une mitrailleuse sur trépied.
Car ce ne sont pas tout à fait de simples civils, mais un peuple ennemi du reste de l’humanité qui se rend. Même les femmes et leurs enfants semblent pour la plupart ultraradicalisés. Toutes, même les très jeunes filles, portent le niqab. Leurs regards sont fuyants ou méfiants. Certains garçons n’hésitent pas à lever l’index au ciel, geste de piété devenu dans le « califat » un signe de ralliement des djihadistes. D’autres ont les yeux pleins de tristesse, comme des Pierrot fardés de crasse. « L’Etat islamique survivra », réplique sans hésitation une Irakienne à qui l’on ose parler de défaite. Lors de la fouille, les femmes combattantes des YPJ (Unités de protection des femmes), milice féminine fondée par des Kurdes syriennes, leur mettent
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Certains garçons n’hésitent pas à lever l’index au ciel, un signe de ralliement des djihadistes.