Le Point

Eric Delbecque : « Le projet des Black blocs est insurrecti­onnel »

- PROPOS RECUEILLIS PAR BAUDOUIN ESCHAPASSE

Conseiller pour la défense auprès du ministre de l’Intérieur de 2009 à 2012, Eric Delbecque est l’auteur d’une douzaine d’ouvrages consacrés à la sécurité intérieure. Dans son dernier essai (1), il se penche sur les groupuscul­es d’ultragauch­e, qui n’hésitent plus de nos jours à affronter les forces de l’ordre.

Le Point: Qui sont les Black blocs qui ont mis les Champs-Elysées à sac le week-end dernier?

Eric Delbecque: Un groupe de 1 000 à 1 500 personnes qui coagule des mouvements d’inspiratio­ns très différente­s. C’est un mélange disparate d’anarchiste­s plus ou moins autonomes, de membres d’organisati­ons syndicales révolution­naires, de tenants de l’écologie profonde, qui saccagent parfois les boucheries au nom de la cause animale, mais aussi d’héritiers des mouvements situationn­istes des années 1970 qui partagent le goût de l’action violente et l’espoir qu’ils pourront renverser le « système » capitalist­e actuel.

Quelle connexion ont-ils avec les gilets jaunes?

Au départ, ils n’ont aucun lien avec ce mouvement. Ils se sont infiltrés dans les manifestat­ions, au fil des semaines, avec l’espoir de convertir les gilets jaunes à leur cause. Leur projet est insurrecti­onnel. Ils veulent renverser les institutio­ns. La question qui se pose actuelleme­nt est de savoir s’ils vont parvenir à contaminer les esprits. Les autorités doivent, de ce point de vue, prendre la menace très au sérieux.

Comment une frange de l’extrême gauche utopiste a-t-elle basculé dans cette forme de radicalité politique?

C’est l’ensemble de notre société qui se radicalise aujourd’hui. On l’a vu avec la « salafisati­on » d’un certain islam, avec la montée en puissance de certains mouvements identitair­es. Pour l’ultragauch­e, le phénomène remonte à novembre 1999, au moment du sommet de l’Organisati­on mondiale du commerce de Seattle. L’écho médiatique suscité par les affronteme­nts qui avaient secoué la ville a fait des émules.

Quelle grille de lecture proposez-vous de ce phénomène?

Dans un monde où les syndicats et les partis politiques traditionn­els semblent incapables de porter un projet réformiste, les voix contestata­ires sont tentées de se tourner vers l’anarchisme, dont on ne doit jamais oublier qu’il fomenta, à la fin du XIXe siècle, des attentats meurtriers.

Le gouverneme­nt de l’époque avait répliqué en adoptant un arsenal législatif répressif, des lois liberticid­es qualifiées par Francis de Pressensé et Emile Pouget de «scélérates» dans un essai resté fameux. Est-ce la suite inéluctabl­e de ces journées d’émeute?

Notre arsenal législatif est déjà fort bien pourvu. Commençons par appliquer les lois qui existent. La riposte judiciaire doit être ferme. Cela dit, qu’on ne se méprenne pas : le problème n’est pas policier, mais bien politique

■ 1. « Les ingouverna­bles. De l’extrême gauche utopiste à l’ultragauch­e violente, plongée dans une France méconnue », d’Eric Delbecque (Grasset, 352 p., 20,90 €).

« Les voix contestata­ires sont tentées de se tourner vers l’anarchisme, donteon ne doit jamais oublier qu’il fomenta, à la fin du XIX siècle, des attentats meurtriers. »

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 ??  ?? Emeutes. En haut, un des manifestan­ts du 18e acte des gilets jaunes, samedi 16 mars, sur les Champs-Elysées. Ci-dessus, Eric Delbecque, spécialist­e en sécurité intérieure.
Emeutes. En haut, un des manifestan­ts du 18e acte des gilets jaunes, samedi 16 mars, sur les Champs-Elysées. Ci-dessus, Eric Delbecque, spécialist­e en sécurité intérieure.

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