Récit (C. Berest) : le roman de Frida
Connaissez-vous vraiment Frida Kahlo ? Claire Berest vous la raconte…
Une « poupée menue » et un « géant à tête de crapaud-buffle », des seins d’homme et une moustache de femme, le gros corps gras de Rivera et celui, tout cassé, de Frida ; deux monstres sacrés, une passion surhumaine et mille toiles dans les étoiles, difficile de faire plus livresque : ces deux-là étaient calibrés pour finir dans un roman, ou plutôt pour y vivre l’éternité. C’est chose faite, empoignée même, avec superbe, par une Claire Berest ébouriffante.
Ça commence par une fête, des artistes, des communistes, de la tequila, Frida Kahlo et Diego Rivera. Et puis il y a une nuit d’amour, la chair molle de Diego sur la carcasse de Frida qui a reçu un jour un tramway dans le buffet. « Mais qu’est-ce que c’est, bon Dieu, que toutes ces cicatrices ? » lui demande Diego. Alors Frida lui raconte, tout, le tramway, le buffet, l’injustice cosmique, les lits d’hôpital, le carré de ciel bleu du patio, la douleur qui boursoufle les yeux, la vie horizontale, et tant pis pour les étudesdemédecine,lesvoyages, les bateaux et les montgolfières, il n’y aurait plus que des jambes malades et des côtes pourries ; et puis ce miroir qu’elle exige qu’on accroche au plafond, pour se voir en face et, un jour, des toiles et des pinceaux, des autoportraits en femme fatale, mer bleu des mers derrière, décolleté à s’y noyer devant. Et puis ce fut le grand tourbillon. Un mariage en forme de farce, « la blague est dite », des années américaines, des fêtes encore, de fin de monde, des Américaines dévergondées, des aboiements, des coups de couteau dans les toiles, des joies insensées et des « murmures de chagrin en contrebande », des bébés avortés ou perdus ; New York, Detroit, Paris, Mexico ; Breton, Duchamp et Rockefeller, du cognac et des orages, un divorce et un autre mariage et une mort, bref : Frida Kahlo et Diego Rivera, leurs vies en Technicolor, en chair, en os, en panache et en talent fou ; et le romanbiopic le plus dément de cette rentrée
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« Rien n’est noir », de Claire Berest (Stock, 250 p., 19,50 €).
« Diego déglutit. Il se saisit du poignet gauche de Frida Kahlo, étonnamment flexible. Et doux. Et avec le scalpel, d’un geste de peintre, il tranche la veine. »