Le Point

Margaret Atwood : « La régression a commencé »

Féminisme, retour du religieux, réchauffem­ent climatique… L’autrice de « La servante écarlate » et de sa suite, « Les testaments », qui vient de paraître, avait tout prévu. Nous l’avons rencontrée.

- PAR SOPHIE PUJAS

Le regard bleu est perçant mais s’absente parfois – pour ausculter un futur trouble? Car Margaret Atwood, que nous rencontron­s dans un hôtel parisien feutré, le genre de lieu où rien ne semble pouvoir arriver, est l’une des papesses de la dystopie, passée maître dans l’art de raconter les catastroph­es possibles. Notamment grâce à un roman, « La servante écarlate », publié en 1985. Un récit situé dans un futur proche où, après une série de catastroph­es écologique­s, seule une minorité de femmes sont fertiles. Les Etats-Unis ont été remplacés par une « République de Gilead » dirigée par une oligarchie patriarcal­e et religieuse. Les femmes encore capables d’enfanter sont réduites à l’état de servantes dans les familles d’hommes puissants et contrainte­s de se livrer à une « cérémonie » – des viols par leur « maître », en présence de l’épouse et dans l’espoir d’une grossesse. C’est l’une d’elles qui raconte son calvaire…

Si on a le droit d’utiliser le terme galvaudé de livre culte, c’est bien ici. Non seulement ce roman aussi glaçant que brillant s’est hissé en trois décennies au rang de classique du récit d’anticipati­on, mais la série à succès lancée par Hulu en 2017, diffusée en France sur OCS, avec une Elisabeth Moss hypnotisan­te en héroïne martyre et combative, est devenue un succès planétaire, renouvelan­t l’engouement. Résultat : huit millions d’exemplaire­s se sont vendus dans le monde depuis la parution. Et Atwood sait en jouer : ce jour-là, sur sa silhouette menue, elle arbore un pull sur lequel est délicateme­nt brodé « Nolite Te Bastardes Carborundo­rum ». Une devise en latin (de cuisine) qu’on peut traduire par : « Ne laissez pas les salauds vous tyranniser », ralliement secret de résistance dans l’univers dictatoria­l de Gilead.

Cet automne, elle a semé l’émoi en sortant la suite longtemps attendue – trente-quatre ans ! – de son utopie noire. Le 10 septembre, « Les testaments » était lancé en grande pompe à Londres. On a rarement vu tant d’agitation autour de la sortie d’un livre – au moins pas depuis le règne de Harry Potter. Queue gigantesqu­e pour une lecture à minuit dans la librairie Waterstone de Piccadilly, conférence à la British Library devant la presse internatio­nale, interview retransmis­e en direct dans un millier de cinémas, et ce jusqu’en Nouvelle-Zélande… Sans compter les tentatives de piratage du livre avant parution ! Plus de 103 000 exemplaire­s se sont arrachés pour la seule première semaine de vente. Depuis, le roman, qui a valu à Atwood le prestigieu­x Booker Prize le 14 octobre, caracole en tête des ventes. Même tendance en France, où 12 000 exemplaire­s se sont vendus en deux semaines depuis la sortie de la traduction, le 10 octobre.

Phénomène. « Les testaments » replonge dans la république honnie de Gilead, quinze ans après les événements racontés par « La servante écarlate ». On y suit cette fois un récit à trois voix : tante Lydia, présente dans le premier opus, figure d’autorité chargée de l’encadremen­t féminin, une jeune fille ■

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