Le maître des clics
Donald Trump tweete sur le chien héros de l’Amérique. A l’époque dite de la post-vérité, il importe peu qu’une information soit vraie : il suffit qu’elle soit virale.
Moquer, c’est aussi (surtout?) réinventer. Grossier, fourbe, ridicule, rusé ou maladroit, Trump a tout de même, encore une fois, réinventé la communication politique avec le tweet sur le chien héros de l’Amérique. En quoi cette fausse boutade est-elle un premier pas sur la Lune ou la réédition de l’éclat du premier chien dans l’espace ? En ce qu’elle casse les codes et moque la tradition du héros. Ce président qui s’amuse de sa possible destitution a su, depuis le début, occuper la scène à l’époque dite de la post-vérité. Aujourd’hui, il importe peu qu’une information soit vraie, le but est qu’elle reste virale. Et Trump le veut. Il se veut partout, Big Brother, dont l’oeil cligne sans cesse, présent, omniprésent et installé au coeur des écrans. Pour ce faire, il ne faut pas sourire avec éclat, comme Obama, ou avoir son charisme, mais tweeter sans cesse, faire cliquer les coeurs et faire parler de soi. Le scandale ne suffit plus ; du coup, pour cette immense entreprise d’occupation des esprits, il y faut les réseaux, le tweet permanent. Mais comment ravir la vedette à un Obama qui a capturé et tué Ben Laden ? Pour mieux vendre politiquement l’élimination d’Al-Baghdadi, au deuxième rang dans la galaxie du terrorisme international, Trump n’a pas seulement fait une annonce qui aurait pu faire effet quelques heures et être déclassée dans le torrent du grand flux mondial, non. Il a cassé les fameux codes de l’annonce solennelle, moqué un peu le genre hollywoodien de la Maison-Blanche, a dépassé le texte de l’hommage, la rigidité du monde ancien, ses poses et ses phrases. Le mieux, pensa-t-il sûrement à l’époque des réseaux, ce n’est pas de dire quelque chose, mais de trouver comment le dire. Et Trump l’a su. Il sait depuis le début, d’ailleurs, comment transformer l’outrage en communication. Et ses sosies présidents populistes dans le reste du monde ont très vite adopté le genre, eux aussi.
Ainsi, à la place d’un hymne et d’un drapeau avec musique, d’une marche cadencée vers le micro dans les couloir d’un palais, d’un visage sérieux et de quelque mots d’emphase, le président amuseur a intelligemment, sournoisement, opté pour un tweet qui rend hommage à un chien dont la photo a été « déclassifiée » et qui sera « décoré » par la suite. Le tweet connaîtra un succès mondial, sera retweeté à l’infini, deviendra viral. Du point de vue de la com, cette moquerie est largement plus efficace qu’un communiqué. C’est ce que veut cet homme et il a su comment l’obtenir. Une clownerie que ce chien héros ? Oui, certes, mais redoutable.
A cheval sur deux siècles, peu d’entre nous comprennent véritablement encore qu’un nouveau monde est là et encore moins les anciens politiciens. Ce nouveau monde tue l’ancien, le sépare, le divise, attire les plus audacieux et les plus barbares, inaugure des sauvageries, des conquêtes et des éliminations de peuplades, saccage les terres découvertes, verse du sang et prend de force ce qui appartenait aux tribus faibles. Le nouveau monde est numérique et, comme il y a quelques siècles, il est découvert par hasard, inauguré par les plus sanguinaires, fait rêver de loin les chercheurs d’or et provoque des épidémies fatales pour les anciennes formes de vie et de langage.
Trump est aujourd’hui le maître des clics. Il le sait, en abuse et en profite. Gigoter dans l’espace du numérique est le meilleur moyen de garder l’attention, de concentrer les regards à l’époque du bref, du spam, du buzz, du fuyant et de l’éparpillement. Le tweet du chien héros de l’Amérique est une leçon sur l’art morbide de dire n’importe quoi en disant l’essentiel pour être écouté par le plus grand nombre. Il fait sourire les « anciens », moqueurs, mais occupe l’esprit des « nouveaux », hagards. Triste et redoutable Amérique
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Depuis son élection, le président américain sait comment transformer l’outrage en communication.