Littérature : Sylvain Tesson, notre écrivain national
Il obtient le prix Renaudot pour « La panthère des neiges ». Récit d’un destin aventurier.
On sait tout d’une époque à ceux qu’elle se choisit comme héros – c’est-à-dire ceux à travers qui elle rêve. Peut-être parce qu’ils en sont tout à la fois les enfants et les négatifs. Le prix Renaudot attribué à Sylvain Tesson (par ailleurs chroniqueur au Point) pour « La panthère des neiges » (Gallimard), qui figure d’ores et déjà parmi la longue liste de bestsellers de l’auteur de « Dans les forêts de Sibérie » (prix Médicis 2011), confirme qu’il n’a pas cessé d’éblouir ses contemporains.
Pourquoi tant d’amour ? D’abord parce qu’il est, bien sûr, le descendant revendiqué d’une tribu d’écrivains aventuriers, dopés au panache, qui, de Cendrars à Romain Gary, s’obstinent à faire du monde un lieu de surprises, et de leur destin un roman. « Eloge de l’énergie vagabonde », « Petit traité sur l’immensité du monde », « Une vie à coucher dehors », « S’abandonner à vivre » : ses titres à eux seuls sont un appel à prendre le large. Les égrener, c’est déjà saisir une profession de foi poétique et existentielle. Depuis qu’à l’aube de la vingtaine le fils du journaliste Philippe Tesson quittait le douillet cocon d’une famille bourgeoise pour faire le tour du monde à vélo (« On a roulé sur la Terre », avec Alexandre Poussin), il n’a cessé de l’arpenter. « J’ai marché dans les forêts de l’Extrême-Orient, dormi sur les grèves du Baïkal, donné des conférences dans les universités du bassin de l’Amour, roulé à bicyclette sur le flanc sud du Caucase et monté des chevaux Orlov dans les plaines de Riazan. J’ai piloté des side-cars hors d’âge dans les bois de Carélie, visité les mines d’or des bords de la Léna, suis parti à la pêche avec des
bûcherons de Bouriatie, sur les eaux de la Selenga où nagent les silures », écrivait-il pour résumer ses périples russes dans « Sibérie ma chérie ». Il a aussi parcouru à pied 5 000 kilomètres dans l’Himalaya (« La marche dans le ciel », avec Alexandre Poussin), chevauché 3 000 kilomètres à travers l’Asie centrale (« La chevauchée des steppes», avec la photographe Priscilla Telmon), suivi de la Sibérie à l’Inde le chemin des échappés du goulag (« L’axe du loup »), refait en side-car le chemin de la retraite de Russie (« Berezina ») ou escaladé les flèches de Notre-Dame. La beauté du monde est son terrain de jeu. Fasciné par le foisonnement du vivant, il est capable de digressions sur l’axolotl (cette créature aquatique immémoriale chère à Cortazar) et de partir en quête de la panthère des neiges, cet animal qui ménage ses apparitions avec les précautions d’une divinité des cimes, en compagnie du photographe animalier Vincent Munier. « Un vrai voyage, c’est quoi? lâche-t-il dans “Berezina”. Une folie qui nous obsède, nous emporte dans le mythe. » Ce n’est pas un hasard
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« L’imprévu ne venant jamais à soi, il faut le traquer partout. »
« La panthère des neiges »
réactionnaire, celui qui a vécu six mois dans une cabane en Sibérie ? Ce serait aller un peu vite en besogne, car il est avant tout un homme de contradictions. Ami du vivant sous toutes ses formes, ne dédaignant pas de suivre une expédition militaire, se rêvant ascète tout en fumant le cigare, solitaire familier des médias, portant tour à tour cravate ou treillis… Ce qu’il appelle lui-même ses « oscillations ». « J’ai toujours souffert des tiraillements exercés par mes penchants contraires. Ah ! La navigation d’un bord à l’autre est épuisante, écrit-il dans “Une très légère oscillation”, son journal de 2014 à 2017. Un jour dans une cabane, le lendemain en ville. (…) Un jour au mont Athos, la nuit chez La Goulue. Tout cela ne fait pas une vie, mais un effroyable battement, une trémulation de cauchemar. » Tiraillé, impossible à enfermer dans un mot ou une posture, comme il sied à tout bon héros de roman…
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« La panthère des neiges », de Sylvain Tesson (Gallimard, 168 p., 18 €).
j’aime. Ce livre est parti d’un gardien d’immeuble que j’ai connu il y a une vingtaine d’années, un être extraordinaire, qui m’a fasciné par sa douceur, son intelligence, sa générosité, son aptitude à résoudre des problèmes. Il gère un petit pays ! Quand j’écris, je me laisse guider par la chance et le hasard. J’ai l’impression d’avoir sur l’épaule cet ange joué par Bruno Ganz dans « Les ailes du désir », qui me dit : « Je vais t’arranger ça. » Et, grâce à lui, je tombe sur des chemins de traverse.
Vous écrivez systématiquement vos livres en un mois, et toujours en mars. Pourquoi?
Quand on écrit un livre sur une période très courte, il faut avoir l’esprit aux aguets. C’est une méthode stupide, je n’en fais pas la publicité ! Mais elle fonctionne pour moi : ce sont des journées de quinze heures pendant lesquelles je suis hyperconcentré. Le cerveau, c’est comme une machine à vapeur, il faut le lancer. Après, ça retombe, vous n’avez plus envie que d’être un mec qui regarde des matchs de rugby devant sa télé en mangeant des sucreries.
« Il y a une infinité de façons de gâcher sa vie. » « Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon »
Durant les périodes où vous n’écrivez pas, vous imaginez les livres à venir?
Non, je n’ai jamais de projet. Mais je n’oublie rien : l’odeur de mon père, les premiers mots de ma mère, tous les détails de ma petite enfance, ma maison quand je rentrais de l’école. Quand je commence un livre, j’ai un stock d’affections et de tristesses immense. Je n’ai pas à inventer. D’autant que pendant