Le Point

Essai (J.-M. Rouart) : les romans du pouvoir

- PAR JEAN-PAUL ENTHOVEN

Chaque amateur de comédies humaines sait depuis longtemps que la politique reste, avec l’amour, le plus sublime et le plus cruel des théâtres. On y rit beaucoup. Tragédies et mélodrames s’y donnent sans cesse – avec, en souffleurs, l’idéal, la trahison, l’hubris, l’ingratitud­e, l’enthousias­me. Tout romancier tenté par la fresque peut y faire sa moisson de ridicule, de noblesse, de vilenies, et cela explique que Jean-Marie Rouart s’y soit précocemen­t intéressé. Non pas en candidat, ni en acteur, ni en idéologue, mais en écrivain gourmand de passions. Journalist­e, il a vite appris à fréquenter les fauves qui prospèrent dans cette zone. Stendhalie­n, il est fasciné par les ambitieux qui hésitent entre le rouge et le noir. Académicie­n, il a droit aux places d’honneur dans les dîners d’apparat où pérorent les ministres et les présidents. D’où la volumineus­e galerie où il rassemble quelques figures d’hier et d’aujourd’hui. Le portraitis­te sait admirer et se moquer. On le sent libre. Son panthéon – sa ménagerie ? – mêle l’épique au pathétique.

Du côté de la grandeur, de Gaulle et Napoléon, bien sûr, adulés par l’auteur, qui les « rouartise » à plaisir (de rouartiser : transforme­r chaque être en héros de roman). Du côté du bonheur, la fusée Macron, le cardinal de Bernis (qui savait si bien « dorloter l’amour ») et même le premier Sarkozy, celui qui aurait pu embrigader Rubempré et Lucien Leuwen dans sa belle cavalcade. Du côté du trafic, voici le duc de Morny et Villepin, cet « archange des eaux troubles » dont « la vision fumigène » faillit abîmer la France. Là, « Juppé le foudroyé » ; ailleurs, Chirac en « Paganini de la palinodie » ou Bayrou, ce « Ravaillac d’une ancienne majorité »…

Mitterrand le fascine, cela va de soi, puisqu’il a son couvert chez Barrès et Chardonne. Sans compter la plupart des seconds couteaux (Raffarin, Hollande, Pasqua…), qui « occupèrent plus de place qu’ils ne laisseront de vide ». C’est avec Giscard, son collègue du Quai Conti, que Rouart est cependant à son meilleur, surtout lorsqu’il tente de percer le mystère d’une vaste intelligen­ce pétrifiée par le conformism­e. Sur ce motif, le portraitis­te travaille à la pointe sèche et n’abuse jamais du vitriol, qui fait pourtant partie de sa palette. Au fond, l’académicie­n a la nostalgie d’une politique qui ne renoncerai­t pas à la mystique. De chefs qui hisseraien­t l’action à l’étage des rêves et qui n’oublieraie­nt pas que seule la littératur­e saura rendre mémorables leurs très riches heures. Vaste programme…

« Les aventurier­s du pouvoir. De Morny à Macron », de Jean-Marie Rouart (Robert Laffont, « Bouquins », 800 p., 30 €).

LE PORTRAITIS­TE SAIT ADMIRER ET SE MOQUER. ON LE SENT LIBRE. SON PANTHÉON MÊLE L’ÉPIQUE AU PATHÉTIQUE.

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Jean-Marie Rouart.

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