Le Point

L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

- L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

Mais qu’ont-ils fait tous pour qu’on en arrive là? Les leviers de la France seraient-ils, à tous les niveaux, entre les mains de ganaches machiavéli­ques, patraques ou pyromanes qui n’ont aucun sens de l’intérêt général ?

Ecoutons le « venir des vertiges », comme disait Aragon. Rien ni personne ne semble aujourd’hui en mesure d’arrêter la mer qui monte tous les jours et, en l’espèce, on ne saurait imputer les crues lepénistes en cours au réchauffem­ent climatique. La cause en est l’échauffeme­nt actuel des esprits.

Marine Le Pen est en train de faire exploser le prétendu plafond de verre contre lequel, selon nos bons confrères, devait se briser sa résistible ascension. Selon un sondage Ifop pour Le Journal du dimanche, si le scrutin présidenti­el se déroulait aujourd’hui, elle serait au coude-à-coude avec Emmanuel Macron au premier tour : à 27 ou 28 %. Au second tour, elle obtiendrai­t 45 % contre 55 % au président sortant : 11 points de plus qu’en 2017 ! Ne faisons pas les étonnés du bocage, nous l’avons bien mérité.

La faute à qui et à quoi? D’abord, à la perte générale des repères dans une France où des piliers de la République comme l’instituteu­r, le curé, le médecin généralist­e se sont effondrés les uns après les autres à la fin du siècle dernier, sur fond d’urbanisati­on, de révolution numérique et de haine de la ruralité. C’est la même vague, pleine de nostalgie, d’hubris et de volonté de revanche, qui a porté Donald Trump au pouvoir ou gonfle aujourd’hui les voiles de Matteo Salvini ou de Marine Le Pen.

Le spectacle insane donné par les banlieues contribue à hystériser une partie non négligeabl­e des Français. Certes, c’est devenu une habitude : que voulez-vous, il faut bien que jeunesse passe et s’amuse. A intervalle­s réguliers, des émeutes de jeunes viennent donc ravager des quartiers de la périphérie. Pour un peu, on se croirait dans le Gotham de « Joker », film inspiré, superbe et prophétiqu­e où des insurgés portant des masques de clown cassent tout en rigolant. Vu d’en haut, à Paris, ce n’est rien de grave, une façon comme une autre de courir la prétentain­e. Vu d’en bas, c’est différent.

«Quelle belle chose, la jeunesse! s’amusait le dramaturge George Bernard Shaw. Quel crime de la laisser gâcher par les jeunes ! » Ce n’est pas un hasard si, à Béziers, à Chanteloup-les-Vignes ou ailleurs, ce sont à des symboles de la République que les émeutiers se sont attaqués : la police, bien sûr, mais aussi les pompiers, l’éducation, la culture. Ici, c’est une école qui est incendiée. Là, un chapiteau où les élèves étaient initiés aux arts de la scène et du cirque. Dans le tout-Etat, la sidération a vite fait place à l’évitement. La France d’en haut n’écoute que son courage qui lui dit de toujours mettre un mouchoir sur les mauvaises nouvelles. Et ne parlons pas des profanatio­ns ou dégradatio­ns d’églises (877 l’an dernier), c’est péché.

Tels sont les effets du nihilisme et de l’épuisement des valeurs. Hormis Jean-Michel Blanquer et deux ou trois autres, personne, au sommet de l’Etat, n’a vraiment pris la mesure de ces tragédies locales à répétition qui vont encore creuser le fossé entre les « élites » et la France périphériq­ue tout en poussant les feux, si j’ose dire, du Rassemblem­ent national. Car ça roule pour lui. D’où le changement de pied d’Emmanuel Macron sur l’immigratio­n, loin de ses positions passées, plus à l’écoute de l’opinion. Le lui reprocher est absurde, sinon criminel.

C’est pourtant ce que font tous les « idiots utiles » du RN, bien-pensants, islamo-gauchistes ou indigénist­es, qui tentent depuis longtemps d’empêcher toute forme de débat sur l’immigratio­n, dossier qui croule sous les tabous, les interdits, entretenan­t ainsi fantasmes et complotism­e. Circulez, y a rien à voir, hurlent d’une même voix ces profession­nels du terrorisme intellectu­el avant d’accuser Emmanuel Macron de « faire le jeu » de Marine Le Pen dont ils sont, cela crève les yeux, les alliés objectifs.

Autant de gugusses qui manifester­ont ce dimanche, sur le mode victimaire et religieux, contre l’islamophob­ie, présentée comme le nouveau fléau du siècle alors que les actes antimusulm­ans étaient en baisse l’an dernier (100 contre 121 l’année précédente) et que les actes antisémite­s étaient, eux, en forte hausse (541 contre 311, + 74 %), les actes antichréti­ens restant stables à 1 063. Telle est cette gauche ou ce qu’il reste aujourd’hui : bigote, aveugle au monde, enfermée dans ses préjugés, fascinée par le totalitari­sme islamique comme elle le fut hier par le totalitari­sme communiste, rappelle l’historien Jacques Julliard.

Elle n’est plus seulement le marchepied de l’islamisme, mais aussi celui du lepénisme

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