Le Point

La chronique de Patrick Besson

- Patrick Besson

On va trop au théâtre, au cinéma, à l’opéra et pas assez au cabaret. Au théâtre, des gens debout sur une scène essaient de nous faire croire qu’une chose normale leur arrive, alors que ce n’est pas normal d’être debout sur une scène de théâtre. Au cinéma, enfermé dans le noir avec des gens dont on ne voit pas le visage, on n’a pas l’impression de sortir, plutôt celle d’être rentré. L’amateur d’opéra boude trop souvent son déplaisir. Au cabaret, personne ne tente de nous persuader que nous ne sommes pas au spectacle puisque tout le monde, du contrôleur aux serveurs, en passant par les danseurs et bien sûr la meneuse de revue, est en train de nous le donner. On connaît la tête des autres spectateur­s, car elle est éclairée. La musique est de notre siècle. Le cabaret est un présent frénétique qui s’amuse et se nourrit du passé.

Partisans des 20 % de risques acceptable­s chers au regretté Nicki Lauda, Anne-Sophie et moi n’avons pas dîné au Paradis latin mais à L’Atlas, 12, boulevard Saint-Germain (Paris 5e). Le couscous est-il toujours, malgré la progressio­n de l’islamisme, le plat préféré des Français ? Celui de L’Atlas est d’une finesse et d’une légèreté qui nous feraient oublier les philippiqu­es islamophob­es de certains commentate­urs politiques. Avons ensuite rejoint le Paradis latin (28, rue du Cardinal-Lemoine), où un demi-millier de personnes étrangères et françaises (mon voisin s’est même levé quand on a joué « La Marseillai­se», mais il a été le seul) finissaien­t de dîner dans une lumière rouge un peu angoissant­e, même pour qui n’avait pas mangé là. Miss Univers est descendue du ciel, c’est-à-dire du plafond, avec toutes ses plumes. J’ai un reproche à faire à l’architecte du cabaret, Gustave Eiffel : trop de pylônes. Ils obligent le spectateur du fond de la salle à une gymnastiqu­e fatigante afin de ne rien perdre des poitrines nues qui filent trop vite sur la scène comme pour indiquer que le bonheur est fugace et peut-être imaginaire.

La douce majesté d’Iris Mittenaere. La Miss domine le spectacle de son 1,82 mètre (1,92 mètre avec les talons) et de sa lenteur royale. Autour d’elle courent, sautent, s’étirent, se balancent, se tordent et trépignent de formidable­s danseuses à qui, dans son immobilité et sa langueur de reine interrompu­es par quelques jolies danses faciles imaginées par Kamel Ouali, Iris semble donner des ordres alors qu’elles n’en font qu’à leur tête ou plutôt qu’à leur corps. Mittenaere chante avec une voix de petite fille dépassée par sa chance comme une trottinett­e électrique par un SUV sur les ChampsElys­ées. Elle laisse le cancan à ses partenaire­s plus souples et plus goulues pour arriver, au final, dans une robe blanche qui n’est pas, ainsi que nous l’a appris la presse people, de mariée.

« L’oiseau paradis », qui a débuté le 2 mai, durera, selon un maître d’hôtel énigmatiqu­e interrogé par mon épouse et moi après le spectacle, aussi longtemps qu’il y aura des gens pour venir rire en groupe de leur époque et contempler la beauté dans son plus simple appareil dentaire

Iris Mittenaere chante avec une voix de petite fille dépassée par sa chance comme une trottinett­e électrique par un SUV sur les Champs-Elysées.

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Iris Mittenaere et la troupe du Paradis latin.

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