Le Point

Alexandre Benalla, le livre des secrets

Dans un livre surprise, l’ancien collaborat­eur d’Emmanuel Macron raconte l’Elysée, « l’Etat profond », ses affaires, ses ambitions… Rencontre.

- PAR SAÏD MAHRANE

«J’assume ! » C’est ainsi qu’il a d’abord songé à titrer son livre, mais, par sagesse – oui –, il a opté pour quelque chose de moins frontal, moins évocatoire. « Ça faisait un peu “J’accuse”, j’ai laissé tomber » Soudain, il se redresse. « Je peux voir à quoi ressemble le livre ? » On lui tend l’objet gros de 280 pages, intitulé « Ce qu’ils ne veulent pas que je dise» (Plon), qu’il n’avait pas encore vu dans sa version imprimée. Il le tourne dans tous les sens, le pèse, puis cherche une page en particulie­r, celle des remercieme­nts. Faussement inquiet, il s’interroge : « Est-ce que l’éditeur a gardé mes remercieme­nts à Carlos et à Al-Baghdadi ? »

Alexandre Benalla rit, rit très fort, au point de faire trembler la banquette de velours sur laquelle repose sa généreuse corpulence. Même l’humour, chez lui, est au service de la thèse qu’il s’emploie à défendre depuis plus d’un an, en toute occasion, y compris dans ce livre : en somme, il n’est pas celui que les médias et les politiques dépeignent, cette « racaille » (le mot est de lui) qui a servi Emmanuel Macron durant plus de deux ans. Ecrit dans le plus grand secret, ce livre, qu’il a prévu d’envoyer au président, est à la fois sa plaidoirie, son autobiogra­phie et le récit de ses années Macron, en campagne et à l’Elysée, agrémenté d’anecdotes comme n’en a encore jamais fourni la macronie. On l’y voit en action, toujours à l’affût, entouré de personnage­s

« Y a chez moi un côté “je vous emmerde”, je reconquier­s ma liberté en faisant ce que je veux. »

tétanisés à l’idée de perdre leur place ou de provoquer ■ la foudre de Jupiter. « Alex », lui, est le « démerdard » de la bande, l’agent tous risques de la maison Elysée. Avec lui, ça passe (souvent) ou ça casse (comme ce fameux 1er mai 2018). Aux lecteurs il livre sur plusieurs chapitres sa version des faits, à la fois sur son interventi­on place de la Contrescar­pe, la disparitio­n de son coffre-fort, les images de la vidéosurve­illance et la nature de ses contrats à l’étranger (voir page 44). D’habitude, dans pareil cas, et comme le lui ont conseillé nombre d’amis, on la ferme et on traverse le désert. On feint la sagesse née de l’épreuve et on soigne ses cicatrices (ainsi que ses relations). Lui ne fait rien comme les autres, ce fut sa force, celle d’un gamin « made in Normandie » arrivé à l’Elysée, et peut-être aujourd’hui sa faiblesse. « Des gens ont écrit une histoire qui n’est pas la mienne, ils m’ont mis sur une scène, puis ils ont éteint le projecteur. Mais moi je reste sur la scène et je rallume le projecteur. Je raconte désormais mon histoire. » Plusieurs fois mis en examen, il refuse de retourner dans l’ombre, là où il fit carrière, goûtant désormais de cette lumière qui gonfle son compte Twitter de followers et son carnet d’adresses. C’est pourquoi notre rendez-vous a lieu dans le bar d’un grand hôtel parisien et non dans l’arrière-salle d’un bistrot, incognito. Il a la veste et le col de chemise ouverts, le geste ample, ça lui donne un côté Orson Welles. Macron a plutôt vu en lui un « John Wayne ». Rester sur la scène relèverait du « combat » au service de sa vérité – et, selon nous, de la volonté narcissiqu­e de gagner en notoriété, dût-elle reposer pour l’instant sur une sombre réputation. Il faut l’entendre nous raconter la fois où il a manqué de provoquer une émeute sur un marché de Saint-Denis. « Les gens voulaient un selfie, y avait un côté Johnny Hallyday.» Il a l’air d’aimer ça, sa femme un peu moins. Pour les selfies, il n’invente rien, et son cas raconte à merveille notre époque, qui le célèbre comme un gagnant de la télé-réalité. Il n’a aucune nostalgie de sa vie d’avant, « peut-être le fait de pouvoir faire mes courses tranquille­ment ». Ces selfies, il les vit comme une sorte de rédemption qui lui viendrait non du ciel, mais d’en-bas, des siens. Et on cherche en vain sur son visage lisse et joufflu les stigmates de l’affaire qui porte son nom. Mais qui sont donc ces « gens » qui l’ont mis sur la scène ? Dans son livre, il indique avoir d’abord fait les frais de la haute administra­tion, en l’occurrence préfets et gendarmes, en raison de la réforme de la sécurité de l’Elysée qu’il entendait mener à bien, puis d’un « système médiatico-politique », sénateurs et journalist­es, qui aurait trouvé le moyen d’atteindre la personne du président à travers lui. Pour nous convaincre qu’il n’use pas d’une grosse ficelle – la victimisat­ion –, il cite Rachida Dati et Azouz Begag, qui ont dénoncé, avant lui, la nocivité dudit « système ». Attention, il ne crie pas au racisme (« On ne m’a jamais appelé couscous »), il déplore seulement le sort réservé à ceux qui, comme lui, gagneraien­t à « s’institutio­nnaliser », selon le conseil de François-Xavier Lauch, le chef de cabinet du président. Mais celui qui, en macronie, incarnerai­t le mieux cet univers peuplé « d’hommes en costumes gris », c’est Patrick Strzoda, le directeur de cabinet. « Lui, c’est le top du top. » Il le décrit sournois, pas très franc, animé par un esprit de caste préfectora­le. Faudrait-il, au

« Certains étaient jaloux de ma proximité avec le président. On a dit que j’étais son garde du corps, son amant… »

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« Ring ». Sur une terrasse parisienne, le 1er novembre.
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Dans le restaurant et bar à chicha Shamyat, à Paris, le 3 novembre. « Des gens ont écrit une histoire qui n’est pas la mienne, ils m’ont mis sur une scène, puis ils ont éteint le projecteur. Mais moi je reste sur la scène et je rallume le projecteur. Je raconte désormais mon histoire. »
Revanche. Dans le restaurant et bar à chicha Shamyat, à Paris, le 3 novembre. « Des gens ont écrit une histoire qui n’est pas la mienne, ils m’ont mis sur une scène, puis ils ont éteint le projecteur. Mais moi je reste sur la scène et je rallume le projecteur. Je raconte désormais mon histoire. »

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