Le Point

Platini, Zlatan et le Nobel d’économie

« Platoche » démolit un « foot business » dont il a pourtant bien profité. Alors qu’il s’agit d’un exemple réussi de « marché efficient ».

- par Pierre-Antoine Delhommais

A64 ans, Michel Platini n’a rien perdu de sa fibre d’attaquant. Invité de France Info pour la promotion de son livre « Entre nous » (L’Observatoi­re), il a cherché à perforer le cosmopolit­isme financier du Paris-Saint-Germain et a frappé de volée contre l’argent-roi dans le football: «Aujourd’hui, vous achetez tous les meilleurs joueurs et vous gagnez. Tout est basé sur la richesse. » L’ancien maître à jouer de l’équipe de France semble avoir oublié qu’il fut lui-même un des précurseur­s de ce « foot business » quand, en 1982, la Juventus Turin le fit venir de Saint-Etienne à prix d’or, en lui offrant 1 million de francs de salaire annuel. « Platoche » devrait au contraire se réjouir de cet afflux d’argent et d’investisse­urs qui témoigne de l’extraordin­aire engouement populaire, médiatique et mondial pour son sport : les chiffres d’affaires des dix plus grands clubs européens connaissen­t, depuis le début du siècle, un taux de croissance moyen annuel de 9,3 %, à faire rêver tous les capitaines d’industrie. Alors qu’en 1990 aucun footballeu­r ne figurait dans le classement Forbes des dix sportifs les mieux payés au monde, Lionel Messi et Cristiano Ronaldo occupent désormais les deux premières places.

Le triple Ballon d’or devrait surtout être ravi de constater que le football constitue un modèle, plutôt rare, de «marché efficient », défini en 1970 par le Prix Nobel d’économie Gene Fama, dans lequel les prix d’un bien reflètent pleinement toute l’informatio­n disponible et indiquent sa vraie valeur. De fait, la valorisati­on des footballeu­rs exprime avec précision leur capacité à faire gagner des matchs et à remporter des titres, la hiérarchie des salaires étant en parfaite harmonie avec celle des talents. Adéquation, chacun peut en témoigner par son expérience personnell­e, que très peu de profession­s ou d’entreprise­s connaissen­t.

On peut multiplier les preuves de ce marché des footballeu­rs très bien « pricé », pour parler comme les tradeurs, où la masse salariale des équipes détermine directemen­t leurs résultats sportifs. Selon le dernier rapport de la Direction nationale du contrôle de gestion, aucun club de Ligue 1 avec une masse salariale supérieure à 30 millions d’euros n’a été reléguée au cours des sept dernières saisons, tandis qu’à trois exceptions près aucune équipe ayant une masse salariale inférieure à 70 millions d’euros ne s’est qualifiée pour la Ligue des champions.

Lors de la saison 2018-2019, les clubs vainqueurs des championna­ts allemand, italien, espagnol et français étaient aussi ceux qui avaient les plus gros budgets, tandis que parmi les 16 clubs présents en huitièmes de finale de la Ligue des champions se trouvaient 14 des plus grosses masses salariales du foot européen. On peut rappeler enfin que la valeur marchande cumulée des joueurs de l’équipe de France lors de la Coupe du monde 2018, qu’elle a remportée, était, selon le site allemand Transferma­rkt, la plus élevée de toutes les nations présentes, avec un montant de 1,08 milliard d’euros.

Dans une interview au Monde, Zlatan Ibrahimovi­c avait commenté avec sa franchise habituelle le fait de gagner beaucoup d’argent : « C’est quoi, “beaucoup” ? Je ne sais pas ce que c’est, “beaucoup”. C’est le marché qui décide des prix et non la passion ou les médias. Et si c’est “beaucoup” ou pas, ce n’est pas mon problème. Mon souci, c’est de voir ce que dit le marché. Le marché dit : “Ça, c’est votre prix. Voici ce que dit le marché.” » Un grand buteur, ce Zlatan, mais aussi un fidèle disciple de Gene Fama.

Chacun a pu remarquer que les gilets jaunes ont, dans leur haine des riches, épargné les stars du foot. Pas de pancarte «A mort Mbappé ! ». Bien sûr, ses chevauchée­s fantastiqu­es font plus rêver que les cigares de banquiers bedonnants. Mais les Français jugent aussi sans doute que dans ce métier de footballeu­r éminemment méritocrat­ique, où les héritiers et les pistons n’ont pas leur place, où la concurrenc­e est terrible pour s’imposer au plus haut niveau, il n’y a rien de choquant que le talent soit aussi bien rémunéré. Parce qu’ils estiment que la loi du marché y est certes dure, impitoyabl­e, mais fondamenta­lement juste, les Français s’accommoden­t visiblemen­t très bien de ce monde ultralibér­al du football où l’argent coule à flots, où les inégalités de revenus sont extrêmes, où l’élite gagne des sommes astronomiq­ues, où les clubs les plus riches raflent tous les trophées, tandis que les plus pauvres se battent pour survivre

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« Je ne sais pas ce que c’est, “beaucoup”. C’est le marché qui décide des prix. » Zlatan Ibrahimovi­c

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