Les cadavres de la droite et de la gauche bougent-ils encore ?
La droite et la gauche, qui structuraient la politique française depuis le début de la Ve République, sont «en état de mort cérébrale », pour reprendre une expression de M. Macron à propos de l’Otan. Elles ne se sont toujours pas remises de l’élection présidentielle.
Il est stupide d’imputer, comme on l’entend parfois, leur triste état au manège de M. Macron. Certes, il préfère se retrouver au second tour de 2022 en face de Mme Le Pen, réputée facile à battre, ce qui reste à prouver. Mais le chef de l’Etat n’est pas un démiurge. Ce n’est pas de sa faute s’ils ont terminé le caveau de leurs tombes et que le ciment est sec.
La France étant ce qu’elle est, c’est-à-dire grincheuse, émeutière, le cerveau lavé à la pensée magique, M. Macron n’est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise sociale, au coin d’un bois. Mais ni la droite ni la gauche ne semblent encore en mesure de tirer parti de ses ennuis, s’ils adviennent. Deux ans et demi après le scrutin présidentiel, elles sont toujours à terre, dévastées par la triangulation macronienne, l’art de prendre ce qu’il y a de mieux chez ses ennemis, méthode machiavélique théorisée et appliquée naguère avec succès par l’ancien président américain Bill Clinton.
Dans « La malédiction de la droite : 60 ans de rendez-vous manqués » (1), livre passionnant et lumineux, Guillaume Tabard conclut à juste titre que la droite n’arrivera à rien tant qu’elle ne mettra pas en selle, pour la présidentielle, une personnalité capable d’incarner toutes ses sensibilités : « progressiste et conservatrice, libérale et régalienne, fédérale et identitaire ». Mais, de ce point de vue, M. Macron n’apparaît-il pas, pour beaucoup d’électeurs de la droite libérale, comme leur meilleur champion ? Ce fut la tragédie de M. Wauquiez, qui avait des qualités. Ce pourrait être celle de M. Jacob, son successeur, qui en a aussi.
Potentiellement, la droite a au moins quatre bons présidentiables : par ordre alphabétique, MM. Baroin, Bertrand, Larcher, Mme Pécresse. Encore faut-il qu’ils aient un espace. C’est tout le problème de la droite : dans le mouchoir de poche que lui a laissé M. Macron, elle étouffe, elle s’asphyxie. Mais après avoir lu le roman vrai de Guillaume Tabard, qui raconte son déclin puis sa débâcle, on se dit qu’en se regardant elle a certes de quoi se désoler, mais qu’en se comparant elle peut aussi se consoler. La gauche, elle, est au stade de la rigidité cadavérique, avant la fermeture du cercueil.
Ce sont bien les « frondeurs » qui ont tué la gauche. A 70 environ, ils ont privé M. Hollande d’une majorité parlementaire pendant son quinquennat avant d’être battus (tous sauf un) aux législatives de 2017. Ils ont pourri l’ancien président avec une fébrilité suicidaire et une ligne antilibérale jusqu’auboutiste avant de se reconvertir parfois, comme MM. Ferrand ou Dussopt, dans… la macronie. Aujourd’hui, après le passage du cyclone Benoît (Hamon), le ravi de la crèche, qui a emmené le PS dans le mur à l’élection présidentielle, ce parti n’est plus qu’un champ de ruines peuplé de croque-morts.
Le PS peut-il ressusciter ? Sans doute, s’il rompt avec son passé et devient le parti de gauche dont la France a besoin : populaire et périphérique, ancré sur ses valeurs traditionnelles, le travail et la laïcité, que la gauche rongée jusqu’à l’os par le progressisme a jetées depuis belle lurette par-dessus bord pour le plus grand bonheur du Rassemblement national. Sans oublier l’écologie, cela va de soi, et aussi la France qui, n’en déplaise aux islamo-gauchistes, n’est pas un gros mot. Il lui suffirait de se conformer aux préceptes du formidable livre d’Amine El Khatmi, qui n’a qu’un seul défaut, dira-t-on : il est de gauche !
Retenez bien ce nom : Amine El Khatmi. Agé de 31 ans, cet ancien socialiste, musulman laïque et militant universaliste, élu avignonnais, président du Printemps républicain, est appelé à un grand avenir si les petits cochons ne le mangent pas. Il y a, dans ses « Combats pour la France » (2), une telle colère, une telle sincérité et une telle générosité qu’on le lit en tremblant, comme un roman. Face aux maux qui accablent notre société, voilà un homme de terrain qui se dresse et parle vrai, cru, concret.
Son livre est un manuel de résistance contre le progressisme, la désintégration, la démagogie, la fatigue intellectuelle des « élites » et le vacarme de ceux qu’il appelle «les attachés de presse de l’intolérance». Puissions-nous entendre scander un jour par les militants d’un nouveau parti de gauche : « El Khatmi président ! » Ça nous changerait de Benoît Hamon !
■
1. Perrin (416 p., 24 €).
2. Fayard (224 p., 16 €).