Le Point

Solitude hongkongai­se, haine de soi occidental­e

- Etienne Gernelle

Qu’ils sont admirables, ces Hongkongai­s ! Héros désespérés de la démocratie et de l’Etat de droit, ils résistent, seuls avec leurs masques de papier, à la puissance écrasante de la Chine continenta­le.

Il est étrange qu’ils ne suscitent pas plus de sympathie chez nous. Pas, ou si peu, de pétitions, de tribunes, de manifestat­ions de solidarité à l’Ouest…

Bien sûr, il ne s’agit pas ici d’attendre de gestes spectacula­ires des Etats. Ceux-ci font sans cesse des compromis, par cynisme, diront certains, par réalisme, leur répondront d’autres, car ils défendent des intérêts diplomatiq­ues et économique­s qui sont aussi les nôtres. En revanche, la société civile, qui peut ignorer ces contrainte­s, est curieuseme­nt muette. Alors qu’à Paris quelques poignées de Black blocs – animés par une idéologie d’inspiratio­n totalitair­e – saccagent la stèle du maréchal Juin place d’Italie, il se trouve encore des voix pour choisir d’incriminer la « répression ». A Hongkong, c’est pour Locke et Montesquie­u que l’on se bat. Pour les Lumières. Pour la liberté et, disons-le, quitte à prononcer un gros mot, pour le libéralism­e. Il faut croire que cela émeut moins.

Le regretté Carlo Strenger, qui s’est éteint il y a quelques semaines, a publié en 2016 un livre qu’il faut lire et relire :

« Le mépris civilisé » (1). Constatant notre difficulté à opposer un discours cohérent au terrorisme islamiste, l’essayiste et psychologu­e a tenté d’expliquer cette faiblesse intellectu­elle :

« Après 1945 commença alors un processus d’autocastra­tion : l’exigence universali­ste des Lumières était reléguée au rang de mensonge culturel fondamenta­l. Désormais, l’Occident était sommé d’expier ses péchés, non seulement en prenant en charge la misère du “tiers-monde” décolonisé, mais en s’interdisan­t de critiquer tout mode d’existence et toute croyance, au prétexte que tel groupe ethnique, religieux ou culturel pensait, croyait et vivait de cette façon. Ce fut l’acte de naissance du politiquem­ent correct. » Le politiquem­ent correct comme détestatio­n de soi, qui empêche de défendre de manière argumentée son « mode d’existence ». Le tort de ces idées est d’avoir pris forme en Occident, même si ce dernier n’est pas le seul à y avoir contribué. Le relativism­e, explique Strenger, a remplacé le marxismelé­ninisme – décrédibil­isé – comme opium des intellectu­els. Et le détourneme­nt du principe de tolérance permet de continuer à dénigrer l’héritage des Lumières. Dans cette optique, Hongkong, ancienne colonie britanniqu­e, n’a rien pour elle. Vestige d’un passé que beaucoup voudraient oublier, elle est en outre un symbole de l’économie de marché. Pire, une place financière…

Pas très présentabl­e dans notre culture, où, selon l’expression de Carlo Strenger, l’on a « élevé le ressentime­nt au rang de vertu ». L’Occident a enfoui sa passion de la liberté. Et c’est sur le rocher de Hongkong qu’elle vit encore 1. Belfond, 2016, réédité par Pocket en 2017.

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