Le Point

Quand Emmanuel Macron attend que « les escargots dégorgent »

Prince. Affectif ? Rancunier ? Susceptibl­e ? Comment Macron gouverne les hommes.

- PAR ÉMILIE LANEZ, ERWAN BRUCKERT, FLORENT BARRACO, HUGO DOMENACH, OLIVIER PÉROU ET CLÉMENT PÉTREAULT

Aux confins de la forêt de Brocéliand­e, le village de Broons, dans les Côtes-d’Armor, finit de déjeuner ce 3 avril. Il est 14h30 et on s’apprête à sortir le balai dans le restaurant d’Odette et Bertrand quand se présente sur le seuil, dont la porte ouvre sur la nationale 12, un aréopage en cravate. Le président de la République, de belle humeur, le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, les députés Florian Bachelier et Hervé Berville, tous s’attablent devant leur pavé de boeuf aux endives braisées sur fonds d’artichaut, le menu du jour à 12,50 euros. Dans l’angle de la salle du Midi Vin, le chef de l’Etat a convié Loïg Chesnais-Girard, le président de la région Bretagne. L’héritier de Jean-Yves Le Drian est un socialiste resté socialiste. C’est bien le problème – et d’ailleurs l’objet de ce rendez-vous faussement câlin. Le printemps s’avère morose, la campagne des élections européenne­s patine, aussi Emmanuel Macron retrousse-t-il ses manches. Assis en face de lui, le président, entouré de ses trois fidèles, n’attend pas le dessert pour définir la raison de cet aparté : « Il va falloir que tu clarifies ta position avant l’élection. Ce n’est pas tenable. » Silence. Le Breton laisse passer quelques secondes. Regarde

chacun des convives. Puis ■ répond, calmement : « Je suis prêt à en discuter, mais pas dans cette configurat­ion-là. » On ignore s’ils ont pris des îles flottantes, mais ce qu’on sait, en revanche, c’est qu’un mois plus tard Chesnais-Girard appelle à soutenir la liste socialiste. Un revers qu’Emmanuel Macron traitera à sa façon : leur conversati­on est brisée net. Dorénavant, le président de région s’entretiend­ra avec Richard Ferrand pour les questions bretonnes et, si l’importance le requiert, avec le Premier ministre. « Quand on le gifle, il répond par l’indifféren­ce. Il veut rappeler qu’avoir des échanges en direct avec le président de la République est un privilège dont il ne faut pas abuser », commente un ministre. Loïg Chesnais-Girard se consolera d’apprendre que ce traitement ne lui est pas réservé.

Management « darwinien ». Le président de la République répugne au conflit, il abhorre la dispute et élève rarement la voix. Il coupe. Gérard Larcher, président du Sénat, traverse la même période glaciaire depuis qu’il a empêché la réforme constituti­onnelle et laissé les sénateurs enquêter à grand bruit sur l’affaire Benalla. « Emmanuel Macron fait montre d’une grande séduction puis, constatant que cela ne suit pas, il méprise. C’est tout à la fois un immense charmeur et un immense cynique. Depuis qu’il a compris que le Sénat ne marcherait pas avec lui, il fait comme si Gérard Larcher n’existait pas », confie son cabinet. Fini, là aussi, les conversati­ons du soir, les rendez-vous entre le chef de l’Etat et le président de la Haute Assemblée, «mais, attention, il demeure extrêmemen­t républicai­n sur le protocole. Là, c’est nickel ». Toutefois, si Gérard Larcher veut joindre l’exécutif, il doit contacter Edouard Philippe. « Tant que vous êtes sur un mode de raisonneme­nt qui lui convient, il est extrêmemen­t attentif, analyse Michel Sapin, son ancien voisin de Bercy. Mais, lorsque vous évoquez un sujet avec lequel il est en désaccord, il ne dit pas “je ne suis pas d’accord”, ses yeux partent ailleurs, dans une sorte d’horizon lointain, qu’il fixe sans arrêt. Vous avez l’impression que le personnage n’est plus là.» Comme si convaincre l’autre serait un gâchis de temps et le silence, la forme sublimée et dédaigneus­e d’une immense confiance en soi.

Bernard Mourad, encore pour quelques semaines patron de Bank of America-Merrill Lynch France, a connu dès 2008 le jeune inspecteur des Finances Emmanuel Macron. Libéraux, ambitieux, potaches et littéraire­s, les deux quadras se plaisent, s’appellent « mon lapin », s’écrivent sur Telegram, et leur lien perdure ainsi. « Emmanuel Macron est extrêmemen­t habile et ductile pour éviter les conflits frontaux », remarque le banquier d’affaires, décrivant en souriant un management « darwinien », où le plus fort triomphera à la longue du moins solide et ce sans que le chef s’en mêle. D’ailleurs, le président ne dit pas autre chose quand il emploie sa formule imagée : « J’attends que les escargots dégorgent. » Une technique dont on a constaté les effets lors de l’interminab­le démission de Gérard Collomb,

« Quand on le gifle, il répond par l’indifféren­ce. » Un ministre

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 ??  ?? Solitaire. Le chef de l’Etat passe les troupes en revue le 11 Novembre à l’Arc de triomphe, à Paris. Lors de conflits de personnes, Emmanuel Macron, selon ses proches, file souvent la métaphore de l’escargot…
Solitaire. Le chef de l’Etat passe les troupes en revue le 11 Novembre à l’Arc de triomphe, à Paris. Lors de conflits de personnes, Emmanuel Macron, selon ses proches, file souvent la métaphore de l’escargot…
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 ??  ?? Aréopage. Après le séminaire gouverneme­ntal du 9 janvier 2019, à l’Elysée, séance d’élaboratio­n des « élements de langage » de la conférence de presse. Face au président et à Alexis Kohler (secrétaire général de l’Elysée), on reconnaît, de gauche à droite autour du Premier ministre, Edouard Philippe, Benoît Ribadeau-Dumas (directeur de cabinet de Matignon), Marc Guillaume (secrétaire général du gouverneme­nt) et Charles Hufnagel (directeur de la communicat­ion de Matignon).
Aréopage. Après le séminaire gouverneme­ntal du 9 janvier 2019, à l’Elysée, séance d’élaboratio­n des « élements de langage » de la conférence de presse. Face au président et à Alexis Kohler (secrétaire général de l’Elysée), on reconnaît, de gauche à droite autour du Premier ministre, Edouard Philippe, Benoît Ribadeau-Dumas (directeur de cabinet de Matignon), Marc Guillaume (secrétaire général du gouverneme­nt) et Charles Hufnagel (directeur de la communicat­ion de Matignon).

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