Le Point

La France aime les régimes… spéciaux

L’actuelle réforme des retraites est l’occasion de revenir au projet initial de 1945 instaurant un même système de sécurité sociale pour tous.

- Par Julien Damon

La réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron signe le retour redouté des régimes spéciaux dans le débat public et dans la rue. L’expression, entrée dans le vocabulair­e courant, symbolise alternativ­ement la critique de privilèges d’un autre âge et la défense de spécificit­és légitimes. Mais de quoi s’agit-il vraiment? La protection sociale à la française consiste en une mosaïque de risques, de régimes et de branches. Le régime général de la Sécurité sociale campe au coeur de cet édifice. Ce nouveau régime, qui est la vraie création de 1945, avait vocation à se généralise­r à l’ensemble de la population. Pour couvrir tout le monde, il devait donc intégrer les régimes préexistan­ts et s’étendre à l’ensemble de la population. Mais les régimes antécédent­s n’ont pas tous voulu se fondre dans le régime général et certaines catégories socioprofe­ssionnelle­s (les agriculteu­rs, les indépendan­ts) n’ont pas souhaité bénéficier du régime général. D’essence bismarckie­nne, c’est-à-dire profession­nelle, le modèle français s’est ainsi constitué à partir de briques profession­nelles. Avec le temps, certaines ont fusionné avec le régime général, d’autres ont été créées tardivemen­t afin de boucler le système et de généralise­r l’affiliatio­n à la Sécurité sociale. Si certains des régimes spéciaux ont des racines très anciennes (pour les fonctionna­ires et les employés des chemins de fer, comme pour les clercs de notaire ou les sapeurs-pompiers volontaire­s), d’autres sont bien plus récents (c’est le cas du régime des cultes, créé en 1978). Ils sont dits spéciaux, mais en réalité ils devraient être dits particulie­rs, car se distinguan­t du régime général. En 1945, le projet consistait à déployer une architectu­re unifiée, afin de mettre fin à la multiplici­té qui prévalait. Celle-ci prévaut toujours, mais elle permet de toucher, dans sa diversité, toute la population. Ces particular­ités sont publiques et privées. Dans le langage courant, « régimes spéciaux » est presque devenu synonyme de « régimes publics ». Or du côté des retraites des indépendan­ts se niche une grande diversité. Médecins, artisans ou avocats ne cotisent pas pour les mêmes choses. Certes, ils manifesten­t moins que les cheminots, mais ils aspirent à conserver leurs caisses et les réserves financière­s qu’elles ont constituée­s. Ce dédale de régimes, de prélèvemen­ts, de garanties et de gouvernanc­es distingue la France. A la fois par sa densité et par la capacité qu’a le dossier des régimes particulie­rs à exploser. La logique historique globale du modèle français est pourtant claire. Elle a permis, grâce aux outils de Bismarck (les assurances sociales par corporatio­ns profession­nelles), d’atteindre l’objectif de Beveridge (la couverture de la totalité de la population). Le modèle, hybride entre traditions bismarckie­nne et beveridgie­nne, bascule de plus en plus vers une visée universell­e. C’est ce qui est organisé depuis longtemps pour la branche famille. C’est le principe de la réforme fondamenta­le de la protection universell­e maladie (Puma), entrée en vigueur en 2016. C’est le nom et l’ambition du projet actuel de réforme des retraites. Dans une certaine mesure, avec d’autres outils, il consiste à réaliser une des dimensions de 1945. Quand il s’agissait déjà, avec d’autres mots, de mettre fin aux régimes spéciaux

Dans le langage courant, « régimes spéciaux » est presque devenu synonyme de « régimes publics ».

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« Vous souhaiteri­ez emménager quand ? »

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