Des joyaux de verre signés Saint-Gobain
dirigeant d’un fonds d’investissement, ■ une entreprise avec des super positions de marché, de superbes usines dérive comme ça ? » Dans le petit cercle parisien des affaires, on dénonce un certain conservatisme du management: « Saint-Gobain, c’est le château de
Versailles, c’est Colbert. L’entreprise n’a, en fait, réalisé aucune grande acquisition en dix ans et hésite à faire des cessions. La vente de Verallia, fabricant de bouteilles en verre, annoncée en 2007, a été faite huit ans plus tard. Et Lapeyre, l’enseigne de bricolage, mal en point, n’a toujours pas été vendue. » Les critiques convergent aussi sur un point : « C’est une boîte d’ingénieurs qui n’a pas de culture financière. » L’illustration en est le raid lancé en décembre 2014 par Pierre-André de Chalendar, 61 ans, PDG de Saint-Gobain, sur Sika, société suisse spécialisée dans la chimie des matériaux du bâtiment, qui complétait idéalement la gamme du français. Stratégiquement, c’était très bien pensé. Mais, mal préparé, le raid a mal tourné : au lieu de contrôler la société, Saint-Gobain se trouve bloqué dans un rôle minoritaire. « Chalendar, après le départ du conseil, en 2012, de son omniprésent prédécesseur, Jean
Louis Beffa, a voulu frapper un grand coup. C’est raté », commente un administrateur du groupe. Dommage, car Sika, après le rachat de Parex, un concurrent français de Saint-Gobain dans les mortiers, même s’il réalise un chiffre d’affaires bien inférieur (7,3 milliards d’euros contre 42), vaut aujourd’hui en Bourse davantage (24 milliards contre 20) que son assaillant d’hier ! « Même si je n’ai pas exactement fait ce que je voulais, se défend Chalendar, j’ai réalisé ma plus belle opération financière. » Les 900 millions d’euros investis il y a cinq ans valent aujourd’hui plus de 2 milliards.
Le PDG de Saint-Gobain, personnage fin, courtois, usant volontiers de l’humour, n’ignore rien des critiques que lui balance en rafales le microcosme parisien. « Je sais, on dit parfois que Saint-Gobain est une vieille dame. Il n’empêche que, depuis presque dix ans, nous sommes considérés par les Anglo-Saxons comme l’une des 100 entreprises les plus innovantes au monde. » Ce qui résulte en effet du classement réalisé par Clarivate Analytics, société basée à Philadelphie. Grâce à ses huit centres de recherche, le
« Nous sommes considérés par les Anglo-Saxons comme l’une des cent entreprises les plus innovantes au monde. » Pierre-André de Chalendar
groupe dépose 400 brevets par an, et un produit sur quatre commercialisé n’existait pas il y a cinq ans.
Saint-Gobain, c’est un peu le mouton à cinq pattes du CAC 40, un conglomérat difficile à déchiffrer. Car ses activités sont loin de se limiter aux métiers de la construction ; il est également présent dans les abrasifs, les céramiques, les polymères, utilisés notamment pour produire des radômes, des poches ou tuyaux en plastique pour les hôpitaux, des joints et rondelles pour moteurs ou encore des tissus en fils de verre, des adhésifs… Saint-Gobain, c’est aussi les tuyaux en fonte ductile de Pont-à-Mousson, la pose de parebrise et, surtout, la distribution de matériaux du bâtiment (Point. P, Cedeo…), qui « pèse » près de la moitié du chiffre d’affaires ! « Saint-Gobain, relève un banquier parisien, est un groupe extrêmement compliqué. C’est sans doute pour cela que, jusqu’ici, peu de fonds activistes ont osé y entrer, alors même que l’action est toujours un peu pâlotte. »
Label Top employer. « Je ne regarde pas les cours de la Bourse tous les matins », déclare Chalendar. Issu d’une lignée d’inspecteurs des Finances qui remonte à son grand-père, il a hérité de sa famille le sens du service de l’Etat. «Il adore l’opéra, mais préfère aller dans une usine de Pont-à-Mousson », observe, amusé, un proche. Pour Chalendar, « ce qui est bon pour SaintGobain est bon pour la France » et une entreprise, ce ne sont pas seulement des actionnaires, mais aussi les « parties prenantes », parmi lesquelles clients, fournisseurs et… salariés. Et là, comme pour l’innovation, Saint-Gobain se distingue en ayant obtenu dans 33 pays le label Top employer, décerné par un organisme néerlandais. Un record. Oui, mais
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les 50 000 salariés de SaintGobain ■ qui possèdent des actions de la compagnie ont au moins un motif de contrariété quand ils regardent les cours. « Si vous voulez me faire dire que je ne suis pas content du cours aujourd’hui, eh bien, je vous le dis ! » Aucune agressivité dans cet aveu, car le PDG ajoute : « Le cours ne reflète pas la valeur du groupe. » Comme si, homme posé, amateur de jardinage, il était sûr qu’enfin il allait réveiller la belle endormie. Chalendar fait remarquer que la montée des nationalismes n’affecte pas trop son groupe, qui produit sur place 90% de ce qu’il vend. Et qu’avec ses métiers (isolation, rénovation de bâtiments…) la transition énergétique est pour lui une aubaine. « Nous sommes la solution, pas le problème. » Surtout, il vient de mettre l’entreprise sous tension.
« L’étincelle ». En janvier 2019, il s’est adjoint un directeur général délégué, Benoît Bazin, 51 ans, qui, s’il ne rate pas une marche, pourrait lui succéder après demain. Bazin, X-Ponts passé par le MIT, sportif attiré par le hockey sur glace et l’alpinisme, mais aussi violoncelliste à ses heures, n’a connu qu’une entreprise. Il a été préféré à Guillaume Texier, directeur général Europe du Sud, Moyen-Orient, Afrique, et à Laurent Guillot, directeur général Solutions de haute performance. « Bazin sera peut-être l’étincelle », espère un membre du conseil d’administration, déçu par la décennie Chalendar, oubliant un peu vite qu’elle s’est ouverte sur la grande crise de 2008-2009, spécialement sévère dans le bâtiment. Chalendar et Bazin ont lancé en novembre 2018 un plan d’action (« Transform and grow »). Un peu tard, dira-t-on. « Ce qui compte, c’est de l’avoir fait », souligne JeanDominique Senard, administrateur référent chez Saint-Gobain, où il a travaillé une douzaine d’années. Les patrons de métiers à Paris s’effacent au profit des patrons de pays. Finie la centralisation, sauf pour les produits qui voyagent (comme par exemple les pare-brise auto), le terrain reprend ses droits. 250 millions d’économies devront être réalisées. La numérisation du groupe est accélérée, avec, dans la production, usines 4.0, robots, impression 3D et, dans la distribution, e-commerce, « sites d’inspiration » pour les particuliers, logiciels pour les devis des artisans…
Dans la construction, SaintGobain met en avant l’usage de maquettes numériques qui dessinent les nouveaux bâtiments. « On embauche beaucoup de data scientists », précise Bazin. Enfin, « Transform and grow », c’est une respiration du groupe avec des cessions pour 3,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires (canalisations en Chine, carbure de silicium…), programme réalisé avant l’heure, mais aussi des achats dont, le 12 novembre, un gros fabricant américain de plaques de plâtre, Continental buildings, pour
« Si vous voulez me faire dire que je ne suis pas content du cours aujourd’hui, eh bien, je vous le dis ! Il ne reflète pas la valeur du groupe. » Pierre-André de Chalendar
Filiale à 40 % de la Caisse des dépôts et consignations, la Compagnie des Alpes gère les remontées mécaniques et les pistes de 24 domaines skiables dans le monde, dont 11 en France. Parmi ceux-ci, Les Arcs, Tignes, Val-d’Isère ou Méribel.
En 2002, la société s’est diversifiée dans les parcs de loisirs en rachetant, notamment, le Parc Astérix, le Futuroscope et le musée Grévin. Avec un chiffre d’affaires de 854 millions d’euros en 2019, la Compagnie des Alpes s’affiche comme le leader mondial dans le domaine du ski et le numéro quatre européen des parcs de loisirs. Elle emploie 5 000 personnes et a accueilli, en 2019, plus de 23 millions de visiteurs. L’entreprise poursuit sa diversification en investissant dans le logement, avec le rachat d’agences immobilières, et dans la commercialisation de séjours. La société vient ainsi d’acquérir TravelFactory, un important voyagiste ; elle est depuis 2018 le premier tour opérateur de distribution de séjours de ski en ligne.
Après une carrière en cabinet ministériel (il a dirigé le cabinet de Martine Aubry au ministère de l’Emploi de 1997 à 2000), Dominique Marcel (64 ans, Sciences po et Ena) devient PDG de la Compagnie des Alpes en mars 2009. Il est à l’origine de la stratégie d’investissements, qui ont crû de 60 % depuis sa nomination. Il vient de nommer à ses côtés Loïc Bonhoure (40 ans, Normale sup, ingénieur des Ponts) directeur général adjoint chargé de la stratégie, du développement et de l’international. François Fassier (56 ans, Ensam) dirige la division Parcs de loisirs, alors que David Ponson (48 ans, Ensam) est directeur de la division Domaines skiables. Entrée dans le groupe en 2005, Delphine Pons (49 ans, Essec) est directrice de la Distribution, des Nouveaux Métiers et de l’Innovation. Ex d’Euro Disney, Sandra Picard (47 ans, Kedge Business School et EMBA d’HEC) dirige la communication, ainsi que la politique de la marque et la RSE. Enfin, Denis Hermesse (50 ans, HEC Liège) est directeur financier et Philippe Jutard (52 ans, maîtrise en droit des affaires et en droit fiscal de l’université Paris-2 et ISG) est chargé des affaires juridiques, de l’audit et du contrôle interne
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