Le Point

Karin Viard nous fait flipper

A 53 ans, l’actrice adorée des Français incarne à corps perdu la nounou détraquée de « Chanson douce », adaptation formidable du prix Goncourt 2016. Et révèle son côté sombre. Rencontre.

- PAR VICTORIA GAIRIN

«Alors, je vous ai fait flipper ? Je suis terrible, hein, en nounou démente ? » Oubliez la bonne copine, la voisine idéale, la gentille fille, drôle et sans chichis. L’omniprésen­ce de Karin Viard sur les écrans depuis une trentaine d’années – plus de 80 films à son actif – pousserait à croire qu’elle n’a désormais plus de mystère pour nous. Ne pas se fier aux apparences. OEil pétillant, sourire espiègle, derrière sa grande tasse d’eau chaude agrémentée d’une rondelle de citron, l’actrice de 53 ans nous fait rire jaune. Elle jubile de ce rôle à contre-emploi, qui montre enfin toute la violence contenue et la férocité dont elle est capable. « Vous savez, cette histoire a beau être épouvantab­le, je me suis follement amusée à la jouer. C’est jouissif pour une actrice d’incarner la folie. » Et voilà qu’elle ne peut refréner son grand rire enfantin, légèrement éraillé.

L’idée, c’est elle. Lorsqu’elle découvre « Chanson douce » (Gallimard), le roman de Leïla Slimani, prix Goncourt 2016 – vendu depuis à près de 1 million d’exemplaire­s –, elle est immédiatem­ent happée par le personnage de Louise, nounou idéale, appliquée, conscienci­euse qui finit par entraîner la famille qui l’embauche dans une spirale infernale et cauchemard­esque. « Elle m’a dérangée, mais elle m’a touchée aussi. Je me suis dit que j’aimerais bien m’éprouver dans un rôle comme celui-là.» Elle fait acquérir les droits d’adaptation et se lance à corps perdu dans la psychologi­e de Louise : que se passe-t-il dans la tête de ce personnage pour qu’il aime réellement les deux enfants qu’il garde et qu’il finisse par mettre fin à leurs jours ? La réponse est complexe, aride, monstrueus­e, puissante, magnétique. Contrairem­ent au livre, qui commence par l’assassinat glaçant des deux enfants et la découverte du crime par leur mère, le film de Lucie Borleteau (« Fidelio, l’odyssée d’Alice », 2014) prend le parti de ne révéler l’homicide qu’à la toute fin, entretenan­t une tension insoutenab­le qui confine au thriller. Pour Karin Viard, il n’était pas question de «jouer à faire peur». Non, le diable est dans les détails. Une ponctualit­é désarmante, un sourire impassible, une complicité enfantine terrifiant­e. « Je n’excuse pas la folie de Louise, mais je peux la comprendre. Il y a une dimension sociale passionnan­te dans cette histoire. C’est une femme seule, délaissée par ses proches et par la société, qui s’accroche à ce travail comme à une bouée. Pour elle, c’est une question de vie ou de mort. Ivre de solitude, elle prend cette famille en otage de ses affects. On sent bien qu’elle a un problème de thermostat, qu’elle est psychologi­quement dérangée. Mais je suis persuadée qu’il suffirait que quelqu’un lui tende la main pour que le drame n’ait pas lieu. »

Même si elle prétend n’avoir eu aucune difficulté à se défaire de Louise après le tournage, on comprend aisément qu’un tel rôle puisse virer à l’obsession. « Elle est flippante, non, quand elle mord le bébé ? » Avant de se raisonner : « Bon, là, c’est moi qui fais flipper, j’arrête. » Pour cette insatiable, qui a commencé sa carrière dans « Tatie Danielle », d’Etienne Chatiliez, en 1990, et qui a enchaîné aussi bien les comédies ou les films populaires – «Potiche», en 2010, «La famille Bélier », en 2014 – que les oeuvres plus élitistes – « Haut les coeurs ! », en 1999 –, ce rôle sombre et torturé est une forme de consécrati­on. « Mon rêve, ce serait de continuer à tourner jusqu’à un âge très avancé et de jouer un enfant. Ou bien un animal. Oui, une petite vieille qui jouerait un chat, ça ce serait le pied. » En attendant, elle enchaîne les films : le formidable « Jalouse », des frères Foenkinos, en 2017, « Les chatouille­s », d’Andréa Bescond et d’Eric Métayer – pour lequel elle remporte le césar de la meilleure actrice dans un second rôle –, mais aussi « Bécassine ! », de Bruno Podalydès, et « Voyez comme on danse », de Michel Blanc, en 2018. A l’entendre, ce n’est pas assez.

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