Le miel de la minute antique
Les soubresauts et les idoles de notre époque à travers le miroir de l’Antiquité, dans des pastilles pop et décoiffantes : le ton Ono-dit-Biot.
Ils sont les « sauvages intérieurs », comme les appelle l’anthropologue et latiniste Florence Dupont. Ceux qui «sont différents de nous, mais ne nous sont pas extérieurs ». Ils, ce sont les Grecs et les Romains. Si loin, si proches, ils sont à la fois démocrates et esclavagistes, républicains et impérialistes, dramaturges géniaux et généraux d’armée impitoyables. Christophe Onodit-Biot, directeur adjoint de la rédaction du Point, fait route avec eux depuis longtemps, ainsi que le savent bien les lecteurs de ses romans – dans « Croire au merveilleux », la déesse Athéna pouvait prendre la forme d’une jeune femme apprenant à un écrivain suicidaire à redécouvrir la beauté du monde. Cette « Minute antique », où il place en regard d’un événement de notre actualité un épisode de la mythologie ou de l’histoire antique, doit beaucoup à l’inénarrable « Minute nécessaire de monsieur Cyclopède » de Pierre Desproges. De ce moment surréaliste d’une télévision française encore à l’ère analogique Christophe Ono-dit-Biot a retenu «la respiration mentale, l’invitation à réfléchir» cachée sous « l’ironie mordante ». Et c’est dans cet esprit qu’il a rédigé ces minutes, proposées chaque semaine aux lecteurs du Point pour une partie d’entre elles. Plaire tout en instruisant selon le programme fixé par les Anciens eux-mêmes, voilà la vocation de cet ouvrage érudit et enlevé, qui traite avec une jubilation contagieuse de politique et d’écologie, de pop culture et de révolution numérique. Que veut dire Emmanuel Macron lorsqu’il s’autoproclame président jupitérien ? Le poète Virgile, qui mettait « toute sa terre dans ses vers », selon Jean Giono, fut-il le pionnier de l’écologisme ? La princesse Philomèle, qui parvint à révéler son viol par le roi Térée en tissant «ses souvenirs rouges » après que ce dernier lui eut coupé la langue pour obtenir son silence, préfigure-t-elle la révolte des victimes de #MeToo ? Ulysse n’apprend-il pas aux tycoons de la Silicon Valley, qui trouvent que « la mort n’a aucun sens», que l’immortalité n’en a pas davantage en préférant quitter la nymphe Calypso pour retrouver son épouse Pénélope ? Le poète Lucrèce présentait son épopée « De la nature des choses » comme « un doux miel poétique » pour faire passer « la doctrine amère » de l’épicurisme. « La minute antique » n’a nul besoin d’une telle manoeuvre. Elle redouble le plaisir de son lecteur en offrant une couche onctueuse aux trésors sucrés qu’elle renferme
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« La minute antique. Quand les Grecs et les Romains nous racontent notre époque », de Christophe Ono-dit-Biot (Editions de l’Observatoire, 240 p., 18,50 €).