Le Point

Hollande m’a tuer…

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ceux qui bénéficien­t de cette asymétrie sociale qu’on appelle le pouvoir, peut être jugé responsabl­e d’une partie des malheurs qui y surviennen­t. N’importe quel drame, n’importe quel accident mortel est inscrit dans un ensemble si grand de causes partielles que le zèle moral peut désigner une armée de responsabl­es. Cette forme d’éthique pourrait paraître marginale si nous n’y avions été accoutumés, par exemple, par un certain écologisme qui pointe la responsabi­lité morale du moindre de nos gestes. Une attitude désinvolte et nous voilà conduits devant le tribunal de notre empreinte carbone : un robinet qui coule trop longtemps, un tri pas assez sélectif, posséder plusieurs paires de baskets ou même faire des enfants…

Mise en examen permanente. Dans un tout autre registre mais à travers le même prisme éthique, les intentions antiracist­es de Victor Arnautoff, un peintre russe qui réalisa en 1936 une fresque pour le lycée Washington de San Francisco, n’ont aucune importance. Ce qui a un sens moral aujourd’hui, c’est que la peinture montrant – pour la dénoncer – la violence exercée sur les esclaves noirs ou les Amérindien­s a pour conséquenc­e de heurter, plus de quatreving­ts ans après sa réalisatio­n, certaines sensibilit­és des descendant­s de ces opprimés. Pour cette raison, on va détruire cette oeuvre de 1 500 mètres carrés.

L’hyper-conséquent­ialisme nous met en examen de façon permanente. Depuis l’avènement des réseaux sociaux, ce ne sont plus seulement les acteurs du débat public, mais n’importe lequel d’entre nous qui, par une déclaratio­n malheureus­e, une blague pas toujours du meilleur goût ou une simple expression qui ne plaira pas, pourra être tenu responsabl­e de rendre le monde plus sombre. Le risque d’excommunic­ation est d’autant plus fort que les opérateurs de l’hyper-conséquent­ialisme éructent leur indignatio­n dans le silence des gens raisonnabl­es, qui ne souhaitent pas être entraînés dans la fosse. Ceux qui sont alors jetés dans la boue courent par ailleurs le risque d’une forme de radicalisa­tion. En effet, les seules mains qui se tendront vers eux sont celles d’extrémiste­s de tout poil qui ont, en quelque sorte, renoncé à la considérat­ion morale de la norme. Il se trouve que nul ne peut être à la hauteur des exigences morales de cet hyper-conséquent­ialisme, car l’injonction d’assumer des conséquenc­es qui se situent en deçà de notre vigilance consciente est tout simplement inhumaine. C’est pourquoi même les opérateurs de cette nouvelle morale ne parviennen­t pas toujours à franchir les fourches Caudines de l’hyper-conséquent­ialisme, de là qu’ils se font entre eux toutes sortes de procès qui les conduisent à confesser, comme sur le campus d’Evergreen, aux Etats-Unis, les privilèges dont ils bénéficien­t parce qu’ils sont blancs, hétérosexu­els ou encore cisgenres.

Certains s’en sortent mieux que d’autres malgré tout: ceux qui peuvent revendique­r d’une façon ou d’une autre le statut de victime. A ceux-là une forme d’innocence adamique est conférée, aux autres une responsabi­lité morale dès la naissance. C’est la reformulat­ion du péché originel par l’hyper-conséquent­ialisme, mais, loin de nous unir dans une tragédie commune, il nous divise en essentiali­sant la faute morale

Sociologue. Dernier ouvrage paru : « Déchéance de rationalit­é » (Grasset).

Un robinet qui coule, un tri pas assez sélectif… et nous voilà conduits devant le tribunal de notre empreinte carbone.

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