Le Point

Le Greco électrise l’hiver

Peintre d’icônes en Crète, il voulait refaire à sa manière la chapelle Sixtine. Refusé par Rome, il s’imposa dans la Jérusalem espagnole, Tolède. Paris le consacre. Adorez-le.

- PAR MARC LAMBRON, DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

Etonnammen­t, la France n’avait jamais accueilli de grande rétrospect­ive du Greco. C’est dire l’événement que constitue l’exposition de 75 oeuvres associant le Grand Palais, le musée du Louvre et l’Art Institute of Chicago. Elle permet de confronter ce qu’il est convenu de savoir du peintre tolédan avec l’effraction sacrée que provoque le contact direct avec ses oeuvres, celles d’un migrant suprême en dialogue avec les nuées. On y perçoit de façon cristallin­e comment son art se développa en trois stations géographiq­ues, la tension d’une vie se fixant dans une élongation dynamique des formes. Et l’on pressent aussi quel grand insecte fécondateu­r il fut pour les révolution­s futures de l’art.

Dhominikos Theotokopo­ulos est né en 1541 à Candie, l’actuelle Héraklion, cité crétoise conquise en 1204 par la république de Venise. Son premier avatar est celui d’un peintre d’icônes, attaché à pérenniser la tradition byzantine d’un genre votif, même s’il y mêle déjà les poses et les perspectiv­es de la peinture sacrée italienne. C’est à cette richesse polymorphe qu’il se confronte en quittant son île pour Venise, brièvement, avant de s’installer à Rome pendant dix ans. Là, ce jeune provocateu­r tente de s’affirmer dans une rivalité stimulante avec Titien et Michel-Ange, allant jusqu’à proposer de repeindre à sa manière « Le Jugement dernier » de la Sixtine. C’est que l’ombrageux personnage ajoute à un caractère saillant l’ambition d’imposer un style. Les portes ne s’ouvrant guère à Rome, le voilà niché dans son biotope castillan, citoyen de Tolède et prophète fulminant de la sierra. Sa manière va faire époque.

Ascensions. « La peinture traite de l’impossible », écrivit-il en fulgurant manifeste. La manière du Greco, c’est précisémen­t de partir du concret vers le ciel en ascensions spiralées. Du côté terrestre, sa technique du portrait, qui façonnera la tradition espagnole, installe dans une sévère pérennité le visage de ses commandita­ires – notables locaux, prélats, médecins, avocats. C’est que la survie de son atelier lui commande de pactiser avec le monde séculier, qui est celui de la ressource chiffrée en maravédis. Le Greco, formé aux sujets de dévotion par sa jeunesse de peintre d’icônes, ouvre ainsi un marché dans cette Jérusalem d’hidalgos qu’est alors Tolède, cité pieuse fourmillan­t d’oratoires, de chapelles privées, de confréries avides de ces peintures d’adoration que prône alors, dans l’esprit de la Contre-Réforme, le concile de Trente. Tributaire d’une logique négociante, le peintre tente d’imposer

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 ??  ?? Sacré peintre. Ci-dessus, le Greco par lui-même (détail de « L’enterremen­t du comte d’Orgaz », 1587, église Santo Tomé de Tolède). Ci-contre, « L’ouverture du cinquième sceau », dit aussi « La vision de saint Jean » (1610-1614).
Sacré peintre. Ci-dessus, le Greco par lui-même (détail de « L’enterremen­t du comte d’Orgaz », 1587, église Santo Tomé de Tolède). Ci-contre, « L’ouverture du cinquième sceau », dit aussi « La vision de saint Jean » (1610-1614).

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